Sang et Terreur, le règne de Giuseppe Morello (2/3)
Bonjour à tous,
Cet article constitue la suite chronologique de mon précédent consacré à l'organisation mafieuse de Giuseppe Morello et de ses associés. Je me concentre ici sur les événements criminels survenus principalement à New York, en lien avec le gang de Morello.
Si vous n’avez pas lu la première partie, je vous invite à le faire en cliquant sur ce lien : [Partie 1]
Merci et bonne lecture !
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Giuseppe Morello, 1910 |
Les affaires reprirent :
Giuseppe Morello et ses associés furent relâchés après le procès du Barrel Murder. Ignazio Lupo ouvrit peu de temps après une épicerie avec son père et son frère John au 310 West 39th Street, appelée "Rocco Lupo & Sons". Ignazio Lupo fit également son propre magasin sur Mott Street en 1904, qui était décrit comme très flamboyant pour le quartier. Il utilisait de magnifiques chevaux pour transporter ses marchandises, une somptueuse vitrine avec de grandes réserves de nourriture. Son magasin semblait faire des centaines de milliers de dollars en chiffre d'affaires, et s’il marchait autant, c’est parce que Lupo avait menacé les magasins du coin à s’approvisionner chez lui. La police a déjà constaté des cargaisons envoyées par bateau, probablement pour aller en Sicile.
Giuseppe Morello avait quant à lui, depuis quelques années, une société immobilière appelée "The Ignatz Florio Co-operative Association of the Corleonesi" au 335 E 106th Street. Tous les membres étaient originaires du même village et parfois liés par mariage à Giuseppe Morello. On retrouvait notamment Antonio Milone, qui était son cousin au troisième degré, Francesco Badolato, qui était le beau-frère des LoMonte, ou encore Marco Macaluso, qui avait un beau-frère cousin de Milone. La société avait également une banque dédiée, ce qui était très courant à New York dans les quartiers de migrants. Grâce à cela, Morello avait acquis de nombreuses propriétés.
Les coopératives immobilières étaient courantes à New York, des migrants de Corleone en avaient déjà fondé une en 1891. L'organisation s'appelait "Società Co-operativa Corleonese Francesco Bentivegna", un nom très connu à Corleone qui faisait partie de l’aristocratie. Elle rendait hommage à Francesco Bentivegna, qui était un révolutionnaire sicilien et une figure emblématique de la révolte contre les Bourbons (famille espagnole qui occupait l’Italie du Sud). Il organisa plusieurs insurrections contre le Régime jusqu'à sa capture en 1853 puis en novembre 1856. Il finira condamné à mort en décembre avec son compagnon Salvatore Spinuzza.
Parmi les membres de la coopérative Bentivegna, on pouvait retrouver le président Giuseppe Coniglio (un certain Michele Coniglio né en 1862 était le complice de Morello dans le meurtre d’un carabinier à Corleone), Paolo Streva en trésorier (famille régnante des Fratuzzi), un Dragna en secrétaire financier, accompagné de Francesco Saltaformaggio (famille liée par mariage à la demi-sœur de Morello) et Giuseppe Vasi. La société participa à divers événements italo-américains et prospéra jusqu'en 1905, date à laquelle elle connut des difficultés financières. Morello s’en est sans doute inspiré pour monter sa société, et en fin d’année 1905 une nouvelle coopérative nommée "Francis Bentivegna Corleonese Company" commença avec d’anciens associés de Morello.
C’est durant cette période que Lupo et Morello étaient à leur apogée en richesse et pouvoir, avec des entreprises et bâtiments valant en tout des centaines de milliers de dollars.
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La Societa Cooperativa Francesco Bentivegna, 1892 |
Après avoir reçu sa lettre de menace, Bozzuffi préféra aller au commissariat central prévenir les autorités. Ce fut le lieutenant italien Joseph Petrosino qui prit sa déposition et enquêta, comme il avait l’habitude de le faire lors de menaces dans la communauté italienne. Deux jours plus tard, Bozzuffi reçut une nouvelle lettre disant que son fils souffrait et qu’il ferait mieux de se dépêcher de donner la somme exigée. La lettre était signée par un certain "Rotino", qui est un mot sicilien pour dire "rémouleur de couteau". Pourtant, John dit ne pas avoir l’intention de donner un seul cent, et pensait que son fils avait probablement été kidnappé par des rivaux commerciaux. En effet, quelques mois auparavant, un coiffeur dans la même rue que Bozzuffi avait vu son magasin exploser à la dynamite.
Le matin du 7 mars, le garçon réussit à s’échapper de l’endroit où il était détenu après avoir fait semblant de dormir. Les ravisseurs avaient laissé sa chambre ouverte et sans surveillance. Il courut jusqu’à la Second Avenue et alla chez son oncle Eugène. Peu de temps après, ils allèrent ensemble au commissariat pour que Tony explique sa capture. Il dit avoir été approché par deux hommes qui voulaient absolument qu’il soit leur interprète. Après beaucoup de pression, Tony accepta et fut emmené au-dessus d’un saloon au 318 East 59th Street. L’un des ravisseurs le poussa dans une chambre et l’enferma. La description de ses deux ravisseurs correspondait à Giuseppe Costanza (38 ans) et Antonio Giaimo (39 ans), qui avaient loué l’étage. Tony avoua également qu’un autre homme était présent. Joe Petrosino lui montra plusieurs mugshots de célèbres criminels siciliens, et l’enfant reconnut Ignazio Lupo.
Petrosino arrêta Lupo à son domicile le lendemain, et il fut placé en garde à vue avec les deux autres suspects pendant 48 heures. Petrosino continua son enquête et découvrit que Giaimo et Costanza venaient du village de Borgetto (province de Palerme). C'était effectivement le cas, j'ai trouvé notamment le document de naturalisation de Costanza qui affirme être né à Borgetto en 1867. Il migra en 1901 et indiqua son oncle Calogero Salomone, une famille lié par mariage aux Casabianca (mère du parrain Vito DiGiorgio). Quant à Antonio Giaimo il naquit en 1866 à Borgetto, j'ai retrouvé un document de migration datant de Septembre 1906 correspondant. Il était d'ailleurs accompagné d'un Francesco Lo Jacano qui indiqua une mère appelée Rosalia Giaimo. Ce qui est intéressant c'est que Costanza était mariée à Angelina Lo Jacano qui est probablement sa soeur ou cousine.
Beaucoup d’anciens habitants avaient migré et s’étaient installés entre la East 63rd Street et la First Avenue. Les deux hommes étaient liés par mariage, mais également à la célèbre famille mafieuse Rappa du même village. D’ailleurs, l’un d’entre eux, Filippo Rappa, fut le consigliere de Joe Bonanno durant les années 1930. Le 9 mars, Lupo fut emmené au tribunal de Center Street afin d’être confronté à Tony Bozzuffi, mais celui-ci, probablement par peur, n’arriva pas à identifier Lupo comme l’un des ravisseurs. Il fut donc relâché juste après la séance. Entre-temps, six autres individus furent interpellés, dont un homme appelé Antonio Barbuto du New Jersey.
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Antonio Bozzuffi et ses ravisseurs Giaimo et Costanza. |
Bozzuffi n’avoua pas clairement ses ravisseurs, mais grâce aux informations qu’il avait pu fournir, Petrosino poursuivit Giaimo car celui-ci avait loué la chambre au-dessus du saloon. Un peu plus d’une semaine après le kidnapping, le corps d’un Italien fut retrouvé dans un canal à Newark. Il avait été mutilé, étranglé et tué par balles. Son corps avait longé le canal avant d’être bloqué par des racines près d’un terrain de golf à Forest Hill. Petrosino fut appelé par la police de Newark et s’y rendit pour enquêter sur ce meurtre. Il demanda aux policiers de prendre une photo du corps afin de la montrer à la famille Bozzuffi. Tony eut du mal à dire s’il s’agissait de l’un des kidnappeurs, alors Petrosino préféra l’emmener à la morgue de Newark. Le jeune garçon était également accompagné du bras droit et employé de son père, Arturo Salomone (cet homme aura une importance par la suite).
Une fois sur place, Tony déclara que cet homme était bel et bien l’un de ses ravisseurs, mais qu’il portait auparavant une moustache, qu’il s’était rasée depuis. Salomone affirma avoir déjà vu l’homme entrer dans la banque et rôder autour du domicile des Bozzuffi, pourtant il fut impossible de l’identifier formellement. Petrosino remarqua sur le visage une cicatrice à la gorge, remontant d’une oreille à l’autre ; il repensa à cette même marque faite sur le corps de Benedetto Madonia en 1903...
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croquis de l'homme retrouvé dans le Morris Canal |
Petrosino continua d’interroger des Italiens de Newark et New York dans l’espoir de connaître le nom du défunt, mais en vain. Une pâtissière française du 316 East 59th Street reconnut l’homme comme un client qui lui achetait des petits pains durant la période du kidnapping de Bozzuffi, mais l’affaire s’arrêta là.
Il semblait être un homme étroitement lié au gang Morello, dont plusieurs membres avaient déjà des comptes dans sa banque. En décembre 1902, la "Ignatz Florio Co-operative Association among Corleonese" déposa son certificat de constitution via la banque de Bozzuffi. Il avait possiblement investi dedans ou accordé un prêt à Morello pour créer sa société immobilière. Dès le début du XXe siècle, Bozzuffi était également actif en politique : en 1904, il était président d’un club républicain du 24e district. Parmi les membres se trouvait Arturo Salomone, son plus proche confident. Arturo naquit en Avril 1883 à Palerme d'après sa pétition de naturalisation. Ce qui m'intrigue un peu plus est lors de son retour de Sicile datant de 1909, il était accompagné d'un autre Salomone indiquant Borgetto comme ville. Rappelez vous que l'oncle de Giuseppe Costanza était également un Salomone. Achille Salomone qui est le frère d'Arturo indique également Palerme comme lieu de naissance, était-ce une simple coincidence même si les deux noms étaient collés sur la liste des voyageurs ?
En 1912, il se présenta au Sénat pour le 16e district. Il obtint un grand nombre de voix, mais fut battu de peu par son adversaire. Il acquit aussi un grand nombre de biens immobiliers (plus d’une dizaine en réalité) situés sur la First Avenue, ainsi que sur East 61st et 62nd Streets. Bozzuffi continua d’aider à la création de nouvelles sociétés, comme la "Galati Company Incorporated" à Manhattan, qui vendait du vin et des liqueurs. On pourrait penser qu’il s’agit d’une entreprise ordinaire, mais en réalité, le fondateur était le beau-père du mafieux Giovanni Pecoraro (marié à Vincenza Galati). Parmi les actionnaires se trouvent Marianna Pecoraro, la fille de Giovanni, et l’épouse du mafieux Marco LiMandri. On mentionne aussi un certain Salvatore Salomone qui ne semble pas lié à Arturo.
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Galati company incorporated, 1914 |
En 1916, Bozzuffi fut arrêté pour avoir détourné 2 000 $ à une famille qui lui avait confié cette somme pour l’envoyer en Italie. En mars, il plaida coupable de tentative de vol qualifié, mais ce n’était loin d’être la seule somme détournée. D’autres compatriotes italiens remarquèrent que leur argent avait été placé sans leur autorisation dans des biens immobiliers, lesquels étaient en réalité au nom de Bozzuffi. Au total, plus de 180 000 $ furent détournés, une somme colossale qui conduisit directement le banquier à Sing Sing pour une peine de trois ans.
Aux États-Unis, il existe une société d’entraide mutualiste nommée "Order of Foresters". Fondée au XIXe siècle, elle avait pour objectif de rassembler des membres dans une sorte de fraternité offrant un soutien financier en cas de maladie, pour des funérailles ou l’accès à l’éducation. Pour cela, les membres payaient une cotisation régulière, souvent modeste, qui alimentait un fonds commun. Ce n’était pas une organisation religieuse, même si beaucoup de membres étaient croyants et que les cérémonies pouvaient être teintées de culture catholique. Dans certaines communautés d’immigrés aux États-Unis (notamment italiennes), ils formaient leurs propres sections locales, appelées "Courts", pour s’entraider entre compatriotes. À New York existait la Court Corleone (n°446), constituée exclusivement de membres originaires de cette ville.
Petrosino enquêtait déjà sur les associations de secours mutuel et très certainement sur la "Court Corleone", qu’il n’a jamais explicitement mentionnée dans ses rapports. Ces structures contribuaient à des réunions mafieuses ainsi qu’à des collectes d’argent pour le crime organisé.
L'Italian Squad continua d'enquêter sur ce genre d'associations et, en janvier 1907, les soupçons d'une possible organisation criminelle se confirmèrent. Un homme fut retrouvé allongé sans vie dans la neige près du 411 East 106th Street par un laitier du quartier. La police arriva rapidement sur les lieux, suivie de Petrosino. L'homme fut identifié comme étant Salvatore Canale, un cordonnier résidant au 226 East Ninety-seventh Street avec sa femme et leurs quatre enfants. Originaire de Corleone, il avait migré à New York en 1899. Au moment de sa mort, il était sans emploi depuis plusieurs semaines et sa femme était tombée malade.
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Photo d'un italien non identifié, tué en 1907 (NY archives) |
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Illustration du meurtre de Biaggio Puccio, 1909 |
L’organisation de Morello/Lupo ne cessait de s’accroître, leur influence faisait d’eux les mafieux les plus puissants du pays. C’est notamment ce qu’a souligné Nicola Gentile dans son autobiographie Quand on était tous derrière Morello. Je me suis souvent demandé comment le gang recrutait de nouveaux arrivants : était-ce une fois qu’ils étaient aux États-Unis ou parce qu’ils appartenaient à une cosca sicilienne ?
L’une des théories se confirme grâce à l’histoire de Salvatore Marchione, un jeune Sicilien de Carini venu s’installer en mars 1907. Il migra à bord du navire Neckar avec d’autres compères, notamment les Mannino dont j’ai parlé dans mon précédent article. Marchione avait déjà un frère aux États-Unis, appelé Giacomo, qui vivait à Detroit, mais il n’était pas venu pour le rejoindre car, à la place, il s’installa à Brooklyn, au 13 Coles Street. Après quelques recherches, cette adresse correspondait à celle d’Antonio Ganci, un criminel notoire arrêté pour agression et arnaque. Sa photo se trouvait dans la Rogues Gallery de Manhattan (n°8567) ainsi que dans les archives du commissariat de Brooklyn (n°2756). Ganci était un compère de Carini d’après certains articles de journaux, et semblait affilié à la mafia de Morello car il s’était marié avec la sœur de Joseph Fanara qui fut notamment arrêté en 1903 dans l’affaire du Barrel Murder.
Il s’avère que Giuseppe “Peppino” Fanara n’est pas originaire de Carini mais de Palerme. Son père Gregorio s’y maria avec Giuseppa Caccamo en novembre 1871. Un autre fait intéressant est ma découverte d’un acte de mariage entre Gaetano Fanara et une Anna Motisi (célèbre famille mafieuse) à Palerme en 1891 (un cousin ?). Cependant il est vrai que lorsque l'on remonte générations après générations, on découvre que son arrière grand-mère était une Badalamenti possiblement de Cinisi ou Carini. Le frère de Giuseppe s’appelait Rosolino, il se maria en 1915 à New-York et son témoin fut le mafieux Vincenzo Figlia de Villabate. Cela semble démontrer une proximité entre la famille Fanara et les hommes de Villabate.
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mariage de Rosolino Fanara avec Vincenzo Figlia en témoin |
Dans la matinée du 20 février 1908, un jeune garçon de 17 ans tomba sur un énorme paquet enroulé dans une toile, à l’angle de Rutland Road et Rochester Avenue (Brooklyn). Le garçon l’ouvrit en coupant les ficelles qui l’entouraient et découvrit un corps. Il courut chercher des policiers, qui emmenèrent le cadavre au poste de police. Ils remarquèrent que le nez et le menton avaient été sciés et que l’homme assassiné portait une coupure au cou ainsi qu’à la veine jugulaire. La police pensa que les membres sciés avaient été coupés pour empêcher l’identification du corps, pourtant les assaillants n’avaient pas pris le temps de lui enlever ses vêtements ni ses objets. Le lieutenant Vachris fut appelé au commissariat de Brooklyn et demanda à ses hommes de ratisser le quartier où le corps avait été trouvé.
Ce qui permit d’identifier définitivement le corps fut la découverte de deux lettres dans sa poche, adressées à un certain Salvatore Marchione. L’adresse indiquée dessus était le 48 Union Street, qui correspondait à la banque d’Antonio Sessa. Comme de nombreux nouveaux arrivants italiens sans domicile fixe, les banques servaient d’adresse pour récupérer leur courrier. Sessa fut emmené à la morgue et reconnut bien le corps comme appartenant à Marchione. Les deux lettres portaient un cachet venant de Palerme, et l’une d’elles était écrite par Vincenzo Marchione, le père du défunt, qui semblait très inquiet pour son fils :
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chambre et croquis de Salvatore Marchione |
La deuxième lettre retrouvée sur Marchione est assez intéressante : elle était destinée à Antonio Ganci, et c’est ainsi que la police remonta jusqu’à lui et à son adresse du 13 Coles Street. En arrivant à son domicile, Ganci n’était pas là ; sa femme et ses enfants affirmèrent ne pas l’avoir vu depuis plusieurs jours. Il finit par se rendre lui-même à la police de Hamilton, trois jours après la découverte du corps de Marchione. Ganci expliqua son absence en disant qu’il était parti chez son beau-frère avant le meurtre, et qu’il avait appris la mort de son pensionnaire par les journaux. Ses discours étaient assez contradictoires : il ajouta aussi que Marchione avait des lettres à son nom parce qu’« il ne savait pas lire ». Cette fameuse lettre avait été écrite par un Giuseppe Cataldo depuis la Sicile, en voici un extrait :
Antonio Ganci et son beau-frère Giuseppe Fanara furent les deux principaux suspects, pourtant rien ne permettait à la police de les condamner pour l’assassinat de Marchione. La seule piste était qu’ils avaient été vus tous les trois quelques jours avant le meurtre, en train de marcher à Manhattan. Une sacrée coïncidence veut que Joe Petrosino ait reçu un télégramme le soir du 19 février 1908 (lendemain de la mort de Marchione) indiquant que Vito LaDuca avait été tué par balles à Carini, à la sortie d’un théâtre. La police se demanda alors s’il existait un lien avec les récents événements survenus à New York. LaDuca avait été localisé cinq mois auparavant à Baltimore sous le nom de « Vito Passalacqua » (nom de famille de sa femme). Ce qui est surprenant, c’est que sa femme vivait encore à Baltimore au moment de sa mort avec leurs quatre enfants. Elle déclara à la police qu’il était parti pour aider la société d’Antonio Lanasa à se développer (parrain d’un des fils de LaDuca, impliqué avec les gangs de la Black Hand).
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Anna "Passalacqua" LaDuca et son mari Vito |
Au crépuscule du 8 juin 1908 arriva à New York l’élégant paquebot Martha Washington, tout juste construit. À son bord se trouvait le politicien sicilien Raffaele Palizzolo, qui voyageait gratuitement grâce à ses nombreuses relations dans le milieu maritime, notamment Ignazio Florio. Palizzolo ne le savait pas encore, mais il était étroitement surveillé par le directeur new-yorkais du Bureau of Immigration, car la loi stipulait qu’aucune personne reconnue coupable d’un crime ne pouvait débarquer librement aux États-Unis. Certains se poseront la question Pourquoi les services secrets italiens et les autorités italiennes prenaient la peine de s'intéresser à ce politicien Palizzolo ?
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Raffaele Palizzolo et le brigand Antonino Leone |
En clair, Palizzolo n’était pas un homme de bonne foi. Il fut suspecté d’association mafieuse à de multiples reprises, néanmoins il faut avouer que c’était un homme très cultivé et patriote. Comme tout bon politicien sicilien, il faisait partie de la direction de la Banco di Sicilia. Le président était l’ex-maire de Palerme, Emanuele Notarbartolo, un honnête homme, l’opposé de Palizzolo.
Lorsqu'il fut élu député en 1882, la même semaine Notarbartolo fut enlevé par des brigands déguisés en Bersaglieri. La rivalité continua, et en 1893 Notarbartolo fut poignardé à mort dans un train par deux mafieux de la cosca de Villabate, dont un certain Giuseppe Fontana. Très rapidement, Palizzolo fut soupçonné et arrêté, mais il fut définitivement acquitté au début du XXe siècle malgré des preuves accablantes (l’histoire de Palizzolo m’intéresse particulièrement, et je compte en faire un article prochainement).
Voici un court résumé des antécédents de Palizzolo et de la raison de son étroite surveillance. Un grand nombre de suspects dans l’affaire Notarbartolo avaient migré aux États-Unis, notamment l’assassin Giuseppe Fontana. Il migra avec ses filles en octobre 1905 pour s’installer chez son fils Vincenzo, seulement quelques mois après avoir été acquitté du meurtre de Notarbartolo. Fontana fut sûrement conseillé par les membres de sa cosca de fuir le pays pour rejoindre la bande de Giuseppe Morello à New York.
En juin 1906, Andrea Fendi fut retrouvé assassiné à Yonkers. Il venait tout juste de migrer à New York depuis sa ville natale de Corleone. Le premier suspect fut Ignazio Milone, car son nom fut retrouvé sur le corps de la victime. Il était également partenaire d'un Thomas Lucchesi, décrit comme le cousin de Fendi, qui avait un saloon au 226 East 106th Street. Plusieurs Italiens proches de Fendi ont été arrêtés, notamment son associé Giuseppe Fontana, son fils Vincenzo, ainsi que Gioacchino Lima (le beau-frère de Giuseppe Morello). Ils expliquèrent que Fendi ne leur avait pas rendu visite depuis plusieurs semaines et qu’il avait l’habitude d’aller à la campagne pour des soins chez un certain « Giovanni Zaccani » à Danburry (ville de Giovanni Zarcone).
Un fait intéressant est que l’une des filles de Fontana maria un certain Matteo Zarcone en 1909, il semble plutôt originaire de Altavilla Milicia. Milone fut finalement retrouvé par la police et libéré pour manque de preuves. L’un de ses témoins était Stefano Lasala, le cousin de son homonyme qui fut l’underboss de Thomas Lucchese.
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Giuseppe Fontana et son fils Vincenzo. |
Palizzolo arriva donc à New York afin de rencontrer les Siciliens du nouveau pays. Un comité avait été au préalable soigneusement constitué pour accueillir l’ex-député dans les meilleures conditions. Le dirigeant en était le Dr Giuseppe Antonio Purpura, qui agissait dans l’ombre de Fontana d'après l'écrivain Salvatore Lupo. Purpura était un médecin d’Harlem originaire de Termini Imerese, le même village que Palizzolo, il a d’ailleurs résidé chez lui durant son séjour au 157 East 116th Street.
Un autre membre était le marquis Enrico V. Pescia, installé depuis quelques années à New York. Les policiers le décrivirent comme un homme peu fréquentable, il a d'ailleurs déjà fait affaire avec la Ignatz Florio Society entre 1904 et 1905. Pescia fut également dans la disparition de sa propre sœur en janvier 1908, après que celle-ci ait mystérieusement disparu de sa luxueuse maison en laissant une note de suicide.
Palizzolo était venu pour s’exprimer sur ses condamnations et informer les Siciliens que de mauvaises personnes avaient migré parmi eux. Ils devaient se protéger à leur manière en formant leur propre justice, d’après lui. Palizzolo influençait indirectement la formation d’un État dans l’État (soit la définition même de la mafia). Il incitait à perpétuer cette culture de faire justice soi-même et évoqua même la notion de « mafiosité vertueuse » en guise de protection contre la Black Hand. Il déclara également que c’était un pays difficile où les Siciliens étaient injustement surveillés et persécutés par des gens infâmes (un sous-entendu au lieutenant Petrosino qu’il prit soin de ne jamais nommer).
Palizzolo resta à New York une vingtaine de jours et vivait à Harlem chez Purpura. Il y avait quotidiennement une file de Siciliens qu’il avait l’habitude de recevoir. Parmi ces nombreuses personnes se trouvaient possiblement des hommes de la bande à Morello. Quoi qu’il en soit, l’appartement était surveillé par Petrosino qui dit ironiquement dans les journaux que cela "lui donnait le privilège d’être en présence du grand homme". Le commissaire de cette époque était Theodore A. Bingham, réputé pour ses actions policières très controversées. Il fut interviewé sur la venue de Palizzolo à New York, en voici un court extrait :
Lors de ses derniers jours à New York, le comité de Palizzolo organisa une grande réception à l’hôtel Astor. Plus de 100 compatriotes siciliens y assistèrent, et parmi la direction du comité se trouvait un certain F.C. LoMonte. Il s’avère qu’il s’agissait de Fortunato C. LoMonte, le cousin du parrain Fortunato LoMonte qui succéda à Giuseppe Morello. Le père de Fortunato C. était Francesco (1841) qui migra en 1897 avec son frère Alfonso, réputé pour être un associé du parrain Paolo Orlando dans la société "LoCurto & Co". La présence de Fortunato C. montre une fois de plus que Palizzolo était entouré de la mafia locale
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Raffaele Palizzolo à l'hotel Astor (4e en haut à partir de la gauche) |
Morello eut alors l’idée de monter un réseau de contrefaçon pour payer ses créanciers, grâce à ses multiples contacts à travers le pays. Les services secrets l’ont vu voyager en train à Chicago et dans d’autres villes. Il prit même l’avion pour se rendre à la Nouvelle-Orléans, où il fut escorté par des complices italiens jusque dans un petit café.
C’est comme ça que la bande commença à s’intéresser à un Calabrais nommé Antonio Comito. Il venait de s’installer à New York et faisait partie des sociétés The Sons of Italy et The Order of Foresters (dont j’ai précédemment parlé). C’est durant l’une de ces réunions qu’il entra en contact avec un certain Sicilien surnommé "Don Pasquale".
Ce mystérieux homme connaissait la situation de Comito et lui dit qu’il avait un ami qui possédait une imprimerie à Philadelphie. Comito fut immédiatement intéressé, et "Don Pasquale" organisa un rendez-vous.
Le 6 novembre 1906, quelqu’un sonna chez Comito. Il s’agissait de Don Pasquale, accompagné du propriétaire de l’imprimerie de Philadelphie, nommé Antonio Cecala. Il était en réalité l’un des lieutenants de Morello. On a longtemps cru qu’il était né à Corleone, mais il était originaire de Baucina et y naquit en Avril 1973. Il migra en 1889 avec son père Salvatore et son oncle Felice, qui fit un second voyage en 1901 en déclarant une résidence à Baucina. J'ai également localisé ses cousins Cirrincione (nom de sa mère) confirmant également Baucina.
Ce Cecala expliqua à Comito qu’il était prêt à l’engager pour diriger son imprimerie et qu’il avait une résidence où loger, lui et sa compagne, gratuitement. Devant ce qui semblait être une opportunité en or, Comito accepta et convainquit sa conjointe Caterina.
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Antonio Cecala (chapeau melon) avec Antonio Comito et Catherina |
Le bateau emmena le couple et les mauvais hommes à Highland, par une nuit glaciale. Cecala dit aux Comito qu’ils allaient s’installer chez Vincenzo Giglio, qu’il décrivit comme un autre de ses « parrains ». Salvatore Cina avait épousé Rosalia Giglio la veille de Noël 1900 à Tampa. La famille Giglio venait de Santo Stefano Quisquina, mais Vincenzo serait né, d’après certaines sources, le 29 décembre 1878 à Bivona. Vincenzo Giglio épousa également la sœur de Cina le 14 octobre 1907 à Highland, après le décès de son premier mari.
Giglio vint chercher les hommes au port de Highland avec une calèche et chargea les meubles. Le groupe se rendit dans une maison isolée dans les bois, appartenant à la famille Cina-Giglio. Leurs familles y résidaient déjà, et Comito fut accueilli par leurs femmes autour d’un bon dîner. Les sujets de conversation durant les repas tournaient très souvent autour de vols ou d’assassinats, ce qui confirmait sans aucun doute la dangerosité de ces hommes. Les jours suivants, les meubles de Comito furent emmenés dans une vieille maison en pierre, isolée, par Antonino « Peppino » Cina, le frère de Salvatore, qui vivait avec eux.
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Rosalia Giglio et Salvatore Cina, 1900 Tampa |
C'était la fameuse imprimerie. Il fut finalement enfermé et contraint d’imprimer des faux billets pour la bande. Il rencontra un certain nombre de mafieux, comme Nick Sylvester, qui était très proche de Nick Terranova, le demi-frère de Morello. Le garde qui protégeait la propriété était un certain « Oncle Vincent », qui avoua n’avoir jamais travaillé de sa vie, mais plutôt vécu de chantage : « Si je connaissais l’homme qui a inventé le travail et que je le rencontrais, je le tuerais. » Il avoua avoir été éleveur de bétail dans son village natal et avoir assassiné de sang-froid deux fermiers pour récupérer leurs bêtes. Vincent vivait de vols et de chantage à travers le monde, notamment au Japon et en Angleterre, avant de s’installer à New York. Il possédait une banque sur Elizabeth Street qui fit faillite au début de l’année 1909. Je n’ai pas réussi à retrouver plus d’informations, mis à part qu’une banque et un salon de coiffure avaient brûlé durant la même période, probablement pour arnaquer l’assurance.
Comito était certes un imprimeur, mais il ne connaissait pas le mélange des teintes permettant d’obtenir un billet dans les meilleures conditions. Le gang fit donc appel à un Napolitain nommé Giuseppe Calicchio, expert en contrefaçon. Il avait déjà falsifié des billets pour des familles aristocratiques napolitaines à la fin du XIXe siècle. Calicchio s’était déjà associé au gang peu après son arrivée en 1906, mais apparemment, l’opération aurait mal tourné. Calicchio rejoignit donc Comito à Highland et fit un excellent travail, à tel point que Comito tomba en disgrâce et fut régulièrement insulté et menacé par Cina-Giglio. Il fit de nombreux allers-retours à New York en essayant de couper tout lien avec le gang, mais il fut toujours rattrapé et mentalement contraint de retourner à Highland pour terminer le travail.
En juin 1909, la fabrication de fausse monnaie fut suspendue et Comito put enfin retrouver un semblant de vie normale en travaillant pour un honnête imprimeur. En août, les journaux signalèrent plusieurs billets contrefaits à New York. Comito savait pertinemment qu’il s’agissait des siens et préféra écrire une lettre à Salvatore Cina pour lui dire qu’il était parti en Italie voir de la famille. Or, c’était faux : Comito était encore à New York. Il ne voulait plus avoir aucun contact avec la bande. Le 16 novembre 1909, de nombreux membres de la bande Morello furent arrêtés pour contrefaçon de monnaie. Parmi les noms importants, on retrouva :
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Salvatore Cina, Ignazio Lupo et Antonio Cecala |
Les peines furent colossales, mais aucun des prisonniers ne les purgea entièrement, à commencer par Sylvester, qui fut gracié par le président en octobre 1913, malgré une sentence de cinq ans de prison. Le deuxième prisonnier à voir sa peine écourtée fut Vincenzo Giglio, mais pas pour les mêmes raisons. Lors du repas du 5 mai 1914, Giglio fut victime d’une crise cardiaque dans le réfectoire de la prison et mourut sur le coup.
Après ce tragique événement, Giuseppe Palermo déclara être en mauvaise santé et affirma qu’il ne lui restait que quelques années à vivre, qu’il aimerait passer avec sa famille. Il écrivit au président à la fin du mois de juin 1914 et implora sa clémence : « S’il n’y a aucun espoir de liberté pour moi, j’attends avec joie une autre attaque de paralysie qui mettra fin à mes souffrances. » Il fut libéré sur parole en février 1916, en raison de ses problèmes de santé.
Giuseppe Boscarino n’eut pas cette chance. Il était le plus âgé des condamnés et mourut en 1919 des suites d’une maladie. Antonio Cecala fut libéré sur parole en février 1915, puis Morello et Lupo furent relâchés au cours de l’année 1920.
Le 9 février 1909, le détective Joseph Petrosino quitta New York de mauvaise humeur. Il dit au revoir à ses plus proches collègues, comprenant le sergent Vachris, puis partit sur les quais en direction de l’Italie. La mission sera révélée dans les journaux bien plus tard comme étant une enquête de Petrosino sur la mafia sicilienne, mais en réalité, ce n’était pas tout à fait le cas. Le commissaire de police Bingham demanda à Petrosino de consolider un réseau d’espionnage avec les forces italiennes, en association directe avec la police américaine. Il n’était donc pas favorable de dire au grand public que les Américains souhaitaient être omniprésents en Italie.
Le navire que prit le détective s’appelait Duca di Genova, en direction de Gênes comme l’indique son nom. Petrosino embarqua sous le nom de Simone Velletri. Ses bagages se résumaient à deux valises, des lettres officielles adressées au ministre de l’Intérieur italien ainsi qu’un carnet comprenant les noms de plusieurs mafieux (Giuseppe Morello, Giuseppe Fontana, Ignazio Lupo…). Il voulait récupérer leurs dossiers judiciaires afin d’accélérer leurs expulsions des États-Unis.
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Le lieutenant Giuseppe Petrosino |
Petrosino arriva le matin du 22 février. Il demanda au capitaine les bons hôtels du coin et reprit sa route en toute discrétion dans le pays de la mafia. Enfin… pas vraiment, car 24 heures avant, le commissaire new-yorkais Theodore Bingham avait ouvertement avoué que Petrosino était parti en Sicile pour enquêter sur la mafia. Sa couverture était donc brisée. Le commissaire a probablement voulu lâcher cette information pour gagner en visibilité en cette période de campagne présidentielle. Antonio Comito nous informe que c’est après avoir lu le journal qu’Ignazio Lupo arriva à Highland pour informer tout le monde que Petrosino était parti en Sicile et qu’il y serait sûrement tué. Néanmoins, des mafieux de cette importance n’ont pas besoin d’un article pour découvrir que Petrosino se trouvait en Sicile.
Lorsqu’il arriva dans la capitale italienne, Petrosino se sentit suivi par un individu qu’il dit avoir déjà vu. L’homme envoya un télégramme en Sicile à un certain "Noto", nom de famille du chef de la mafia d'Olivuzza à Palerme. Certaines sources indiquent que l’individu était le camorriste Gaetano Donadio, qui fut étroitement lié aux cosca siciliennes.
Petrosino continua de marcher dans les rues de Rome et fut reconnu à Via Sistina par Camillo Cianfarra, le rédacteur en chef de L’Araldo à New York (journal italien lié au New York Herald). Cianfarra cria le nom de Petrosino et demanda sa venue à Rome. Le détective fut tout de suite très énervé et lui demanda de garder sa présence secrète. Cela prouve que son visage était connu de la plupart des Italiens de New York, et que l’aveu de Bingham ne facilitait en rien sa mission secrète.
Le 25 février, Petrosino rencontra le chef de la police Francesco Leonardi et lui expliqua sa venue en Italie. Leonardi rédigea une lettre qu’il remit à Petrosino, demandant à tous les policiers du pays de lui faciliter la tâche dans sa lutte contre le crime organisé.
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Francesco Leonardi, chef de la police |
Joseph Petrosino finit par apprendre, grâce à son frère Vincenzo, que les journaux new-yorkais avaient révélé qu’il était en mission secrète en Italie, ce qui rendit le détective fou de rage. Il préféra tout de même maintenir ses plans et se rendit à Palerme le 28 février. Il passa en calèche à côté de la Piazza Marina et vit une rangée d’affiches électorales de Raffaele Palizzolo, "l’ami du peuple". Petrosino se rendit à l’Hôtel de France et y séjourna sous un faux nom. Ensuite, il se rendit au palais de justice pour examiner les dossiers de certaines personnes dont les noms figuraient sur sa liste.
En réalité, Petrosino était nerveux et irritable à la moindre occasion. Dans de multiples lettres envoyées à sa femme, il souligne à quel point il déteste l’Italie et qu’il n’a aucune confiance en la police sicilienne après avoir appris des choses "qui vous feraient dresser les cheveux sur la tête". Petrosino resta en Sicile et rendit visite au questore de Palerme, Baldassare Ceola, afin d’élaborer une étroite collaboration entre la police sicilienne et lui. Néanmoins, le détective ne semblait pas lui faire confiance, car il trouvait que la justice locale était trop laxiste et délivrait trop facilement des passeports aux criminels.
Durant ses divers trajets à Palerme, il fut reconnu par plusieurs criminels notoires, notamment parce qu’il n’avait aucune peur de se déplacer dans les rues les plus mal famées de la capitale sicilienne. De plus, certains mafieux qu’il avait fait arrêter aux États-Unis étaient actuellement en Sicile et voulaient se venger, notamment le proxénète Paolo "Paliddu" Palazzotto. Ce dernier avait été arrêté à New York par Petrosino et extradé pour esclavage sexuel, une pratique malheureusement très répandue notamment chez les Napolitains à cette époque. Il était promis à de jeunes femmes encore en Italie qu’un bel homme les attendait pour se marier aux États-Unis. Une fois sur place, elles étaient accueillies par des malfaiteurs qui les forçaient à se prostituer. Palazzotto était ce genre d’individu. Il était souvent accompagné à Palerme d’un autre proxénète, Ernesto Militano, réputé pour faire le tour des bordels de la ville.
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Prostitution forcée de la Camorra |
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Carlo Costantino et Francesco Megna |
Des individus extrêmement dangereux, qui avaient une rancune personnelle envers Petrosino, étaient donc présents. Cosantino avait déjà payé la caution de son ami Girolamo Asaro pour le faire libérer après son arrestation par le lieutenant. Les Asaro sont une famille mafieuse historique de Castellammare del Golfo lié à la mafia de Brooklyn tout comme Costantino.
Petrosino continua d’enquêter à Palerme de façon très décontractée malgré le danger constant autour de lui. Le vendredi soir du 12 mars 1909, Petrosino dînait au restaurant "L’Oreto", à côté de la Piazza Marina à Palerme. Il mangeait son dessert lorsque deux hommes sont entrés et discutèrent quelques secondes avec lui. Petrosino leur fit signe qu’il arrivait et termina rapidement son assiette. Il sortit brusquement du restaurant et longea la clôture du jardin Garibaldi, probablement pour atteindre un point de rendez-vous avec les deux hommes.
Peu de temps après son départ, quatre coups de feu retentirent. Les gens à proximité commencèrent à fuir. Seul un marin d’un navire accosté au port eut le courage d’aller voir, et il tomba sur le corps d’un homme trapu, son chapeau melon roulant au bout de la rue. Le marin appela le médecin de son navire afin de connaître les circonstances de la mort. D’après lui, l’homme avait été tué par des individus lui faisant face, alors qu’il était adossé à la clôture.![]() |
Paolo "Paliddu" Palazzotto et Joe Petrosino |
S’en est suivie la traque de Carlo Costantino et Antonio Passananti, qui avaient été vus sur un banc du jardin Garibaldi par un habitant de Partinico ce même jour. Ils étaient censés être encore aux États-Unis, mais avaient voyagé sous un faux nom. Pourtant, la justice de Partinico était au courant, car un rapport détaillé avait été rédigé à leur arrivée. C’est dans ce texte qu’il est mentionné que Costantino avait envoyé un télégramme à Giuseppe Morello. Il y est également écrit que Vito Cascio Ferro s’était rendu à Partinico pour prendre de leurs nouvelles, et qu’ils se sont ensuite rendus à Bisacquino, chez Ferro, qui habitait sur la place principale.
Costantino fut arrêté chez lui le lendemain du meurtre, mais était incapable de fournir une histoire cohérente. Quant à Passananti, il avait disparu. En 48 heures, de nombreux autres suspects furent arrêtés par Baldassare Ceola. Voici les principaux, qui avaient tous vécu un moment aux États-Unis :
Ces informations nous ont permis d’en apprendre plus sur les ennemis de Petrosino à New York, et surtout sur le patron Paolo Orlando. Il naquit en 1864 à Camporeale. J’ai remarqué qu’un des frères du père de Nick Licata était marié à une Vita Pisciotta, qui se remaria ensuite avec un certain Luigi Orlando, lui aussi originaire de Camporeale. Paolo Orlando s’installa à Tunis, où son fils Lawrence naquit en janvier 1896. Dans la lettre, il est décrit comme ayant été le parrain de la ville.
Tunis regroupait un large réseau de migrants siciliens liés à la mafia. Vito Cascio Ferro y séjourna plusieurs mois durant l’été 1894, après avoir été poursuivi pour l’assaut d’une villa à Entinella. Ferro y établit un réseau de contrebande entre Sciacca et Tunis, profitant des nombreux bateaux qui y faisaient escale. Giuseppe Fontana y faisait également des allers-retours réguliers pour la contrebande de citrons. Le fils d’Emanuele Notarbartolo avait même dû se rendre à Tunis pour interroger un prêtre à propos de Fontana. Orlando migra aux États-Unis en 1898 et prit la tête de la mafia de Brooklyn. Ce qui est intéressant, c’est que sa venue semble avoir été précipitée, car sa femme Elisabetta était enceinte à cette période d’Anthony, qui naquit à Tunis en 1899… sans la présence de son père.
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maison de Vito Cascio Ferro, première porte à droite |
Quelques lettres intéressantes écrites par des membres de la mafia de D'Aquila ont été retrouvées à son domicile. L'une d'elles fut rédigée par un certain Riccobono, que je soupçonne être Giovanni, le père du futur consigliere Joe "Staten Island" Riccobono. Giovanni naquit en 1852 d’une mère portant le nom Virzi, une famille mafieuse importante de Sferracavallo (quartier de Palerme). Il épousa Rosalia D'Aleo, qui faisait partie de la même famille que Tommaso D'Aleo, le parrain d’Acquasanta dans les années 1890.
Giovanni migra en 1899 et s’installa au 426 East 13th Street avec sa famille, à quelques pas de son cousin Saverio Virzi, qui vivait au 416 de la même rue. Saverio fut décrit comme un membre important de la mafia, et un capo sous Lupo et D'Aquila.
En mai 1908, son fils Cosimo Riccobono fut arrêté pour avoir tenté de voler un courtier qui transportait 40 000 $. Cependant, un passant réussit à maîtriser Cosimo en attendant la police et témoigna de la scène. Ses frères Domenico et Salvatore, ainsi que son père, furent également arrêtés pour complicité. Durant le procès, Cosimo fut condamné à 10 ans de prison. Cette peine le mit dans une rage folle, et il cria dans le tribunal : « La mafia vous aura pour ça », admettant ainsi explicitement son affiliation..Quelques mois plus tard, Saverio Virzi fut également arrêté par Joe Petrosino pour suspicion d’attentat. En effet, depuis plusieurs mois, des habitants victimes de chantage voyaient leurs maisons exploser. Lorsque la police perquisitionna la maison de Virzi, elle trouva du matériel pour fabriquer des bombes ainsi qu’une liste de maisons, dont plusieurs étaient déjà effondrées.
Giovanni Riccobono fut de nouveau impliqué dans une affaire en mai 1916. Lui et son fils Damiano tuèrent le policier Henry Schwartz alors qu’il patrouillait seul sur la First Avenue. Peu de temps après, un avis de recherche fut distribué à travers plusieurs États. Pendant plusieurs mois, Giovanni et son fils se cachèrent, avant d’être finalement arrêtés en décembre. Le père fut condamné à la prison à vie dans l’établissement de Sing Sing. Il avait alors 64 ans. Son seul moment de répit fut en 1925, où il eut l’autorisation exceptionnelle de passer Noël avec sa famille. Il était à ce moment-là le prisonnier le plus âgé de l’établissement. Giovanni y décédera en 1936.
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Giovanni et Damiano Riccobono |
En outre, Vito Cascio Ferro était en relation avec de nombreux criminels. On peut également citer le nom de Vincenzo DiLeonardo, né à Bisacquino. Cependant, Cascio Ferro semblait confiant grâce à son alibi. Il déclara également ne pas connaître Giuseppe Morello, "qui n’était qu’une de ses nombreuses rencontres à New York".
Une personne un peu moins confiante était le commissaire Ceola, qui, connaissant la Sicile, redoutait un retour de bâton. Alors qu’il cherchait toujours Antonio Passananti depuis trois mois, Ceola reçut une lettre de Rome l’informant qu’il était relevé de ses fonctions et rappelé dans la capitale. Une fois là-bas, il fut officiellement mis à la retraite avec un titre "honorifique". C’est à peu près à la même période que le commissaire Bingham, à New York, fut également démis de ses fonctions pour incompétence. Un échevin déclara même : « D’après ce que j’ai pu découvrir, le véritable tueur de Petrosino, c’est vous, commissaire Bingham. »
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Vito Cascio Ferro |
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