Article in english :
Lorsqu'on s'intéresse à la mafia Sicilienne durant la dictature de Mussolini, on tombe très rapidement sur l'histoire d'un de ses préfets qui aurait grandement fragilisé la mafia pendant son mandat. Il s'appelait Cesare Mori et avait gagné le surnom "Il Prefetto De Ferro". Il fut pendant plusieurs années la figure emblématique de la lutte contre la mafia avec ses actions radicales. Néanmoins vous verrez dans cet article que Mori fut autant handicapé par le gouvernement fasciste que par la mafia. Vous retrouverez sa biographie et les différents obstacles auxquels il dut faire face.
 |
Le préfet Cesare Mori |
Naissance et études :
Cesare Mori est né dans la nuit du 31 Décembre 1871 (certains écrivent qu'il naquit en 1872) dans la ville de Pavia qui est situé au Sud de Milan. Mori fut abandonné par ses parents dès son jeune âge, il grandit dans l'un des nombreux orphelinats de la ville. Lorsqu'il eut l'âge nécessaire, il quitta Pavia pour rejoindre l'Académie militaire de Turin. Lors d'une de ses premières missions il gagna une médaille de bronze pour avoir arrêté personnellement un criminel armée.
Les années passèrent et à 20 ans Mori préfère ruiner sa nomination d'officier pour l'amour d'une fille dont le père refusait de payer le dot militaire exiger à l'époque. Cesare dut repasser une formation et remporta le concours national de police, il fut ensuite envoyer dans la région de Romagne. Lors d'une de ses enquêtes, il fouilla sans gêne la demeure d'un proéminent politicien ce qui lui a valu une mutation par ses supérieurs. En effet vous verrez au cours de sa biographie que Mori était prêt à tout pour faire régner justice, même à ignorer certains hauts placés.
Cette mutation était clairement une punition, Mori qui était un citoyen du Nord fut transféré en Sicile. Cette île était décrite comme le royaume du crime d'Italie mais était aussi un territoire très mystérieux pour le Nord. Les collègues de Mori disaient que cet endroit était "une terre oubliée de Dieu".
 |
Carte de la Sicile avec la présence mafieuse, 1900 |
Cesare Mori resta dans un premier temps, plus de 10 ans en Sicile. Il était devenu un représentant de la loi très respecté des citoyens et nobles de l'île. Mori avait eu l'intelligence de partir à la rencontre des grands propriétaires terriens et de comprendre également les paysans. Il était décrit comme un homme avec la main sur le cœur, qui traquait les criminels en étant habillé en moines. En Décembre 1913 il y a eu une grande manifestation agricole à Trapani avec plus de 1500 manifestants. Mori fut appelé pour calmer la situation, il arrêta avec son escouades plus de 70 émeutiers. Le procureur du roi écrivit par la suite : "Mori fait preuve de qualités exceptionnelles, il est prêt à intervenir dans les provinces les plus menacées d'Italie".
La bande des Grisafi, terreurs d'Agrigente :
En Mai 1916 Cesare Mori fut rappelé en Sicile après un an d'absence. Il avait pour mission de renforcer une escouade qui traquait les bandits de l'Ouest de l'île, parmi les bandes il y avait celle des terribles frères Grisafi qui pillaient la province d'Agrigente ainsi que les zones limitrophes de Palerme et Trapani. Les Grisafi avaient comme fief le village de Caltabellotta, là où ils étaient nés. Le chef Paolo Grisafi, était un berger de 36 ans qui dirigeait une bande à cheval de criminels féroces et prudents. Paolo avait un réseau d'hommes de confiance dans toute la province, il avait une domination sur toutes les activités, même celles liées à la politique. Les autorités lui attribuent une trentaine de meurtres et plusieurs kidnappings.
 |
Le capo Paolo "Marcuzzo" Grisafi |
Lorsque Cesare Mori arriva dans la province d'Agrigente, il entendit que le groupe de Grisafi avait été retrouvé par 5 policiers qui patrouillaient. Paolo Grisafi avait réussi à courir jusqu'en haut d'une colline et les patrouilleurs l'ont immédiatement suivi. Mais d'autres alliés de Grisafi étaient en haut et lorsque les policiers étaient en ligne de mire, ils furent tués à coup de fusil. En apprenant leur mort, Mori décréta qu'il était impensable de laisser les Grisafi s'échapper. Avec un groupe de courageux fonctionnaires, ils campèrent dans un village non loin de Caltabellotta, le fief des Grisafis.
 |
Le village de Caltabellotta, XXème siècle |
Même si le gang Grisafi paraissait très féroce, la réputation de Cesare Mori en a fait fuir plus d'un. En effet plusieurs membres du gang on préférés déserter que d'avoir affaire à lui. Seulement 5 membres étaient déterminés à rester pour l'affronter dans le village. Mori s'était installé dans un hôtel et y planifiait ses opérations. Il envoya ses hommes en petits groupes autour du village de Caltabellotta afin d'obtenir des informations et d'arrêter les complices du gang. En effet il n'y avait que 5 principaux bandits dans le gang mais leurs complices comptaient plus de 300 siciliens. En une nuit les différentes escouades de Mori qui stationnaient dans les villages à proximités ont arrêtés 357 personnes (dont 90 à Caltabellotta). Les opérations c'étaient déroulés sans incident, Mori attendit une répercussion des Grisafi .
Quelques jours plus tard, Mori découvrit quelques jours plus tard un grand tissu noir accroché par les bandits sur l'une des hauteurs de la ville. Cela était un signe qui annoncé des morts, Mori compris que les Grisafis étaient toujours là et avaient bien l'intention de rester. Mais au lieu de les attaquer de front, Cesare préféra traquer l'un des criminels qui c'était séparé du gang avant sa venue. Le criminel fut pris en embuscade par les hommes de Mori et une série de coups de feux furent entendus. Un policier mourut et un autre fut gravement blessé mais le criminel finira appréhendé.
 |
Illustration d'un brigand arrêté, début XXème siècle |
La mort du policier avait créé une déprime chez les habitants, Cesare Mori fit un long discours durant ses funérailles sur le courage des officiers et assura l'arrestation du reste du gang. En prison un allié de Paolo Grisafi décéda des suites d'une maladie, il décida de lui aussi faire des funérailles à Caltabellotta et appela des habitants des villages à proximité. Paolo n'assista pas aux funérailles mais avait fait exprès d'en organiser après celle du policier pour montrer que la mafia continuait d'exercer son pouvoir ici. Cesare Mori laissa rentrer dans le village que les hommes d'églises et la famille de la victime, les autres furent expulser.
Mori continua son enquête sur les Grisafi qui s'étaient réfugiés dans des montagnes, pendant plusieurs mois le gang changeaient de cachette entre grotte et petite cabane. Mori les traqua jusqu'à enfin trouver leurs positions. Ils étaient dans une maison de campagne isolée, Mori décida d'encercler la propriété vers 2h du matin. Mais lorsque les policiers s'approchaient prudemment de la propriété, des chiens se sont mis à aboyer. Un brigand ouvrit la porte et la referma immédiatement, quelques minutes plus tard des coups de feux furent échanger. La fusillade continua pendant neuf heures, à la levée de l'aube les habitants de Caltabellotta étaient venus observer de loin la scène. Le gang de Grisafi fut contraint de se rendre par manque de munition.
 |
Le gang Grisafi avec Paolo au milieu et son frère Settimo en haut à droite |
La capture des Grisafis fut l'une des actions les plus célèbres de Cesare Mori mais vous verrez qu'on entendra encore parler de cette famille… . Paolo Grisafi pu obtenir une arme dans la prison de Palerme et tua son ancien associé Gallo pour l'avoir trahi. Mais le plus intéressant reste ses autres frères qui ont migrés aux Etats-Unis. L'informateur des services secrets
Salvatore Clemente nous dit qu'en 1912
Calogero Grisafi fut intronisé dans l'organisation de
Salvatore D'Aquila (chef des chefs de la mafia) durant une cérémonie dans le magasin de
Vincenzo LoCicero. On sait que D'Aquila avait beaucoup de membres intronisés venant de la province d'Agrigente.
Vincenzo Grisafi qui était aussi un criminel actif, migra également au début des années 1910's. Il mourut prématurément en 1928, date à laquelle Salvatore D'Aquila fut assassiné. Puis pour finir
Settimo Grisafi décida aussi de quitter la Sicile après son incarcération et changea son prénom en Angelo.
 |
Calogero et Vincenzo Grisafi |
La Montée du Fascisme :
Après son succès en Sicile, Cesare Mori fut appelé dans le Nord en 1917 suite à la défaite de l'Italie durant la bataille de Caporetto. En effet nous étions encore durant la WWI et l'Italie faisait partie de la Triple-Entente. La défaite avait causé une insécurité importante dans le Nord de l'Italie ainsi qu'une crise économique. Au lendemain de la défaite, le sicilien Vittorio Emanuele Orlando fut nommé président du conseil Italien et a possiblement joué un rôle dans la nomination de Mori comme préfet de Turin.
Mori resta 2 ans à Turin jusqu'à la démission de Vittorio Orlando après la WWI car l'Italie n'avait pas reçu les territoires qui lui avaient été auparavant promis (notamment une partie de la Croatie). Orlando était furieux et ne signa pas le traité de Versailles, les italiens ont senti qu'il n'arrivait pas à les représenter alors il quitta son poste (le fait que l'Italie n'eu pas ce qui lui avait été dit sera un prétexte utilisé par Benito Mussolini). Mori fut l'instrument du nouveau Premier ministre Francesco Nitti, qui l'envoya à Rome afin d'arrêter une manifestation étudiante en Mai. Nitti exigea que les unités de polices attaquent, la manifestation fit plusieurs morts et blessés. Mori se retrouva devant la justice et Nitti ne l'aida aucunement.
 |
Les premiers ministres Vittorio Orlando et Francesco Nitti |
Cesare Mori sortit de cette affaire sans problèmes grâce à une amnistie de la région (suspension des sanctions). En février 1921 il est préfet de Bologne et constata l'insécurité causé par les fascistes, ils avaient notamment empêchés les ouvriers qui n'étaient pas fascistes de pouvoir travailler. Mori écrivit un décret interdisant les blocages des fascistes s'attirant l'impopularité des partisans de Mussolini. Le Premier ministre Ivanoe Bonomi le soutiendra et aida Mori pour calmer la situation, Bonomi lui donna même les pleins pouvoirs sur toute La vallée du Pô (regroupant 5 régions du Nord de l'Italie). C'était un peu absurde car même si Mori était un homme très doué pour faire respecter la loi, il lui était impossible de tenir autant de fascistes.
Le gouvernement était désespéré, en effet il y a eu 5 différents Premier ministre entre 1919 et 1922, Luigi Facta fut le dernier avant Mussolini et ne resta que 8 mois. Les relations entre Mori et les fascistes ne cessa de se détériorer, ils firent pression sur Facta pour qu'il mette fin à la "dictature de Mori". Le leader fasciste de la ville Michele Bianchi finira par ordonner la mobilisation générale des escouades fascistes pour assiéger Cesare Mori. Il fut attrapé et isolé de la vie politique de la ville. Lorsque Benito Mussolini arriva au pouvoir, Mori fut envoyé dans le Sud.
 |
Le premier ministre Ivanoe Bonomi et le fasciste Bianchi |
De retour en Sicile par le fascisme :
Il avait été muté à Bari dans les Pouilles par le gouvernement. C'était un prétexte pour l'isoler des grandes villes fascistes et en Novembre 1922 il fut définitivement démobilisé. Les fascistes ne portaient pas Mori dans leurs cœurs mais il faut avouer qu'ils avaient une certaine admiration envers lui. Durant son temps libre Mori écrivit un livre nommé "
Tra la zagare Oltre la Faschia" (Parmi les fleurs d'oranger au-delà de la brume) qui parlait des problèmes de la Sicile polluée par la mafia. Ce livre a probablement été un facteur déterminant dans sa reprise de service. En effet Benito Mussolini connaissait l'efficacité de Mori et savait qu'il y avait de graves problèmes dans le Sud de pays. En Juin 1924 il est une nouvelle fois appelé en Sicile et occupa le poste de préfet de Trapani. Mori était ravi et remercia grandement le nouveau gouvernement.
Benito Mussolini s'était rendu en Sicile le mois précédent et avait constaté un non-patriotisme important. En effet le fascisme était beaucoup moins présent et une insécurité fut fortement constaté par le Duce. Il avait eu l'écho d'un ancien combattant qu'en un an il y avait eu 216 meurtres à Marsala, presque tous impunis. Lorsque Mussolini fit sa visite de Trapani, il rencontra le préfet Merizzi accusé d'avoir des liens avec la mafia et une idéologie politique contraire au fascisme. Merizzi n'a pas laissé une bonne impression au Duce et dès son retour à Rome, Merizzi fut transféré. C'est à ce moment-là que Mori prit sa place.
 |
Benito Mussolini à Palerme, 1924 |
Ce n'est pas un hasard si la province de Trapani avait été choisie par Mussolini, en effet il y avait 700 meurtres à cette époque, le vol de plus de 10 000 animaux et 20 000 moutons. Les paysans et personnes de basses échelles sociales avaient tout intérêt à former des liens avec les mafieux locaux afin d'éviter les vols et les menaces. Le fascisme avait mis une pagaille encore plus importante, au cours de l'année 1923 un journaliste nous informe que des licences d'armes étaient distribuées en masse pour les fascistes et que des citoyens se faisaient arrêter pour crime contre l'Etat ou le fascisme. Les administrations municipales étaient dissoutes prétendument par ordre public mais c'était la réelle dictature des chemises noires.
Mais cette terreur va avoir des répercussions flagrantes aux élections générales d'Avril, le parti fasciste dans la province de Trapani va avoir le plus faible taux de voix de toute la Sicile. Celui qui était largement en tête fut le socialiste-démocrate Nunzio Nasi, qui était un grand chef de la Franc-maçonnerie très lié à la mafia. Nasi était une figure sicilienne très controversée qui fut plusieurs fois ministre et accusé de détournement de fonds. Mori dut tout de même collaborer avec lui afin de remettre de l'ordre dans la population (son fils Virgilio Nasi sera vu en présence du parrain Don Calogero Vizzini).
 |
Nunzio Nasi et une illustration de son incarcération |
Cesare Mori a encore une fois dut faire face aux perturbateurs fascistes ce qui n'a pas vraiment plu aux hauts placés du gouvernement. Il souligne qu'il était difficile de distinguer la mafia aux fascistes car l'organisation prenait une position pseudo-fasciste afin d'être sous les radars de la justice. Mais le fait que Mori s'en prenait aux fascistes avait crée un doute constant sur ses convictions politiques. Plusieurs profascistes du gouvernement ont toujours doutés de lui surtout après l'épisode à Bologne. Néanmoins Mori était très apprécié des Siciliens qui le voyaient comme un héro combattant fermement le crime, c'est pourquoi Mussolini décida de le nommer préfet de Palerme. Mussolini dit dans une interview qu'il n'aimait pas personnellement Mori mais qu'il avait une preuve de respect envers ses convictions.
Mori commença ses fonctions à Palerme à la fin d'Octobre 1925, à cette période la capitale Sicilienne était dévastée par de puissantes tempêtes, les rivières ont débordés, les maisons se sont effondrées ou submergées par des torrents d'eaux. Certains superstitieux fascistes ont assimilés cet événement à la venue de Cesare Mori mais il faut dire que si Mussolini l'avait mis à Palerme c'est qu'il n'était pas si déçu que ça de lui. Le 28 Octobre fut célébré le troisième anniversaire de la marche sur Rome, il y avait à Palerme des portraits du Duce, du roi et d'Alfredo Cucco qui était le chef du parti fasciste de Sicile. Mori recevait les salutations mais comme le disait le journal "Sicilia Nuova", ce n'était qu'un signe de respect car le dévouement et la loyauté était reservé uniquement à Alfredo Cucco. Mais Mori ne désespérait pas, il avait toujours l'ultime conviction de détruire la mafia et bientôt il mis en place une considérable opération.
 |
Anniversaire de la marche sur Rome, Milan 1928 |
Pour Cesare Mori, il était temps de faire une action contre la mafia. En effet après la venue de Mori et le voyage de Benito Mussolini, il y avait comme un élan d'espoir. De plus avec la guerre mondiale, les siciliens ont vu l'importance de l'Etat et le soutien qu'il apporte. Mori a souligné que la mafia était actuellement vulnérable et avait dégénéré ressemblant de plus en plus à la Camorra, c'est-à-dire, des clans fragiles qui n'étaient plus structuré. En fin de Novembre 1925 les raids ont commencés dans les quartiers mal fréquentés de Palerme. Mori avait également attendu Noël pour observer les jeunes pisciotti qui venaient dans de somptueux habits et charrettes. Les pisciotti étaient les petites mains de la mafia qui touchaient des sommes conséquentes d'argents pour éviter aux parrains de se salir les mains, ils sont souvent responsables d'assassinats ou de sabotages/intimidations. Durant les mois de Novembre et Décembre, Cesare Mori a arrêté près de 300 suspects à Palerme, 60 dans la région des Madonie et 30 à Piazza Armerina.
Le siège du village de Gangi :
Mori voulait montrer l'efficacité de sa campagne contre la mafia, il lui fallait un événement marquant son autorité et celle du gouvernement et il décida de s'attaquer à la région des Madonie. C'était l'endroit idéal, pour rappel cette région est faite de montagnes ce qui était très pratique pour les cachettes de bandits. Les villages perchés étaient isolés de l'Etat, cet abandon a créé un Etat dans l'Etat propice à la criminalité. La région était depuis plusieurs années celle qui était la plus infestée par la délinquance, voilà pourquoi Mori y tenait tant. De plus pendant presque 30 ans, le brigand Melchiore Candino régnait en maître sur la région, il se faisait même appeler "le maréchal", une insulte pour Mori.
Melchiore Candino était un brigand qui dirigeait un gang redouté à la fin du XIXème siècle, il avait été un pisciotto de Giuseppe Garibaldi durant son débarquement en Sicile car oui le révolutionnaire italien avait utilisé beaucoup de criminels pour libérer l'île. La spécialité du gang était l'enlèvement des riches propriétaires terriens et en 1894 ils kidnappèrent un membre de la famille Ciuppa. Candino avait sympathisé avec les agriculteurs qui travaillaient pour lui, et ont ensemble réussi l'enlèvement. Mais pour je ne sais quelle raison les agriculteurs ont fini par retourner leur veste. La famille Leanza retourna auprès des Ciuppa et tendit une embuscade au gang de Candino. Francesco Leanza attira le gang en dehors de leur cachette et ses fils cachés à l'entrée ont ouvert le feu. Le gang fut entièrement tués mais Melchiore Candino n'était pas présent. Les Leanza seront récompensés par le premier Ministre Crispi en personne qui leur envoya 30 000 lires chacun.
 |
Illustration du massacre du gang Candino, Août 1894 |
Melchiore Candino a été actif jusqu'en 1919, il laissa sa place à ses bras droit
Gaetano "Il Prefetto" Ferrarello et
Giovanni Dino. Il y avait à cette époque plus de 130 fugitifs dans les Madonie, le commissaire
Francesco Spanò avait envoyé à Mori sa conviction d'arrêter les bandits. Mori planifiait également une intervention dans la région et ils ont ensemble collaborer. La bande se cachait dans leur fief qui était le village en altitude de Gangi. C'était un repère idéal car presque toute les maisons avaient des cachettes souterraines dans la roche ainsi que des petits chemins pour les marchandises volées. De plus l'aristocratie de la ville collaborait étroitement avec des brigands afin d'y faire régner leur influence. Les barons avaient reçu une licence des précédents gouvernements leurs permettant d'avoir des paysans à leur compte servant également de milice.
 |
Le village isolé de Gangi, repère des bandits. |
Francesco Span
ò était l'un des rares commissaires respectable de l'île, il naquit en Calabre et était venu en Sicile depuis 1912. Il connaissait très bien les Madonie car il habitait dans l'un des villages de la région. Mori lui avait envoyé un télégramme disant qu'il allait s'en prendre aux bandits mais aussi à leur protecteurs qui étaient les barons Sgadari, Li Destri Ventimiglia et Pottino. Mais ces familles aristocrates étaient liées depuis plusieurs générations aux gouvernement et ils se sont autoproclamés fascistes afin d'être du côté de Mussolini. D'ailleurs le Duce était venu à Gangi avec ses ministres, ils ont déjeunés en compagnie du baron/parrain Giuseppe "Don Peppino" Sgadari. En réalité il était impossible pour Mori de les arrêter, sachant qu'il avait été muté à Palerme avec comme condition de collaborer avec Alfredo Cucco.
Comme évoquer précédemment les raids dans les Madonie avaient commencé en Novembre 1925, Spanò avait participé à l'arrestation d'une soixantaine de fugitifs. Il avait également collaboré avec le baron "Don Peppino" Sgadari afin d'avoir une rencontre avec le capo mafieux Salvatore Ferrarello. Vous voyez donc que les barons étaient directement en contact avec les chefs de la région, Spanò a promis que toute enquête sur Ferrarello et ses hommes seront suspendus s'ils collaborent en dénonçant les autres bandes de criminelles. Ferrarello a longtemps réfléchi et les jours suivants il accepta la proposition, la nouvelle de cette collaboration entre Spanò et un chef brigand, n'avait pas ravis Mori mais il faut admettre que cela avait permis de perfectionner le siège du village de Gangi.
 |
Commissaire Spanò et le capo Salvatore Ferrarello |
Le siège de Gangi se déroula dans la nuit du 1er Janvier 1926, il neigeait abondamment ce qui avait pousser les bandits à s'enfermer chez eux. Ils avaient tous une cachette dans leurs maisons via des trappes ou des faux murs et s'y étaient enfermés. Mori avait emmené des carabiniers mais aussi des miliciens fascistes afin de montrer que c'était une action du gouvernement . Mori voulait non seulement arrêter les bandits mais aussi les humiliés, il demanda qu'aucun de ses hommes ne soit violents ou utilise d'armes à feu. Il voulait qu'ils restent à leur poste et que les bandits eux même se rendent à leurs pieds. Il eu également l'idée que ses hommes rentrent dans la maison des bandits, pour y dormir et manger leurs provisions. Mori demanda aussi l'exécution des bétails volés pour redistribuer la viande à prix réduit pour la population.
 |
Les hommes de Mori pendant le siège, Gangi 1926
|
Le préfet ne s'en est pas vanté dans son autobiographie mais il est très probable qu'il ai demandé à ses hommes de capturer les femmes et enfants des brigands afin d'avoir une pression psychologique. Après 24 heures de siège, le chef mafieux de 60 ans Giovanni "Il Prefetto" Ferrarello se rendit. Giovanni avait un long passif criminel, il était le patriarche de la famille mafieuse Ferrarello et d'ailleurs la promesse de Spanò n'avait pas été tenu. En effet rappelez vous, quelques mois plutôt Salvatore Ferrarello avait collaborer afin d'éviter des ennuis à sa famille. D'ailleurs Salvatore fut lui aussi arrêté et dupé, le siège se passa parfaitement bien pour Mori. Il avait également menacé le baron Sgadari de faire pression sur les bandits pour qu'ils se rendent, auquel cas le préfet commencerait à fouiner dans les affaires de Sgadari. Au fil des heures les brigands se sont rendu un à un et l'opération fut un réel succès.
 |
Giovanni "Il Prefetto" Ferrarello |
Le siège avait été un véritable succès, tous les brigands/mafieux furent arrêtés, Giovanni Ferrarello n'avait montré aucune résistance, peut être à cause de son vieux âge ou parce qu'il pensait être vite relâché ? L'histoire de la famille Ferrarello qui fut trahie par le baron Sgadari et Spano resta longtemps dans les mémoires de la mafia Sicilienne.
Calogero "Don Calo" Vizzini qui était le parrain le plus influent de l'île après la WWII avait évoqué cette histoire à un journaliste :
Vous voulez comprendre ce qu'est être un mafioso ? Je vais vous raconter l'histoire de Salvatore Ferrarello, il fut enfermé par les hommes qu'il avait précédemment aidé. Ferrarello s'évada de prison mais il avait pourtant renoncer à tuer le baron Sgadari qui l'avait envoyé ici.
En tout 130 fugitifs ont été arrêtés et avec les raids dans les villages voisins, Mori avait capturé 300 complices. C'était pour la plupart les proches des mafieux. Giovanni Ferrarello finira par se pendre dans sa cellule, peut être par honte après toute une vie de criminel en liberté. Mori s'assura qu'ils soient tous bien enfermé dans un lieu sécurisé.
La propagande fasciste sur l'événement :
Cet assaut contre la criminalité a rendu très fier le Duce Benito Mussolini qui envoya ses compliments le lendemain à Cesare Mori. Les journaux fascistes du pays ont retranscrit cet événement mais également des médias aux Etats-Unis, en Allemagne et en France. Les fascistes s'en servaient comme une réelle propagande et ont modifiés quelque peu l'histoire. Spano n'avait soit disant jamais rencontré Ferrarello, et lorsque Mori et ses hommes étaient rentrés à Gangi ils furent accueillis comme Garibaldi en 1860. Puis pour finir cette propagande, les journaux ont dit que lorsque Mori tombait malade, les femmes des villages déposaient une bougie pour accélérer sa guérison. Bref les journaux fascistes ont fait de lui une figure héroïque, se rapprochant d'Hercule.
Le souci est que les journaux ont fait passer la mafia comme une sorte de tendance en Sicile qui sera vite éradiqué par les fascistes, or c'est beaucoup plus complexe que ça. La réalité c'est que les siciliens n'avaient pas trop aimés que Mori grossisse ses opérations en arrêtant des "suspects" afin de montrer son efficacité aux fascistes. Lorsque Mori eut l'audace de revenir à Gangi les jours après le siège, il fut accueilli très froidement. Pourtant les journaux fascistes ont évoqués un accueil de confettis et de pétales de fleurs. Le siège de Gangi était décrit comme la plus grosse opération de Mori, or c'était une opération policière qui a déjà eu lieu auparavant. Encore une fois la propagande a fait son effet à travers le monde.
 |
Propagande fasciste de Mori dans un journal américain, Mai 1928 |
L'opération de Gangi fut quand même un succès pour les autorités, Mori accentua la propagande sur l'événement afin d'effectuer une pression psychologique sur la mafia de l'île. C'était efficace car même des décennies après, les mafieux siciliens ont réitérés cet assaut, il avait plongé le monde du crime dans une situation difficile. Il en va de même pour les fascistes, Mori était dans toutes les bouches du gouvernement. En Mars 1926 le décret du ministre Luigi Federzoni avait permis à Mori d'avoir un contrôle sur toutes les forces de police de l'île et de pouvoir appliqués ses ordres sans formalité. Il pouvait également placer ses hommes dans toutes les provinces après consultation du préfet.
Autrement dit, il était la personne avec le plus de pouvoir sur la Sicile, le gouvernement lui faisait pleinement confiance. Ils ont souligné que les siciliens avaient une grande confiance en Mori et que le nombre de demandes de port d'armes était passé de 955 000 avant Mori à 648 000 en 1925. Mais le fait que le préfet avait un tel soutien du gouvernement agaçait grandement Alfredo Cucco, président du parti fasciste sicilien. Cucco était un politicien confirmé de l'île mais cette fois il ne pouvait pas manipuler le préfet comme il l'avait fait précédemment avec Giovanni Gasti. Mori trouvera plus tard des liens étroits entre la mafia et Cucco mais j'y reviendrai plus tard.
 |
Le ministre Luigi Federzoni à droite du Duce |
Le déroulement des procès contre la mafia :
Comme dit précédemment, les arrestations de Cesare Mori se faisait souvent en grand nombre et était très médiatisé. Mais la question qui reste à savoir et ci-cela valait vraiment le coup ? En effet pour condamner des centaines de suspects il fallait tout un tas de preuves, chose que Mori n'avait pas nécessairement. Durant les semaines qui ont suivis de siège de Gangi, Cesare Mori fit une vingtaine de raids dans plusieurs autres villages mafieux notamment à Bisacquino, Corleone, Piana Dei Greci, Villabate, Mistretta ainsi que la province d'Agrigente et de Caltanissetta. Les accusés étaient poursuivis par Mori pour association de malfaiteur néanmoins il était difficile de pouvoir condamner quelqu'un avec peu de preuves. Mori essayait donc de faire ressortir le moindre petit délit des accusés, les procès rebondissaient généralement grâce à cela. Il fallait donc dépoussiérer des dossiers et des fois sur plus de 15 ans.
 |
Cesare Mori et Alfredo Cucco à gauche, à Piana Dei Greci |
Mais ces arrestations en masses créèrent un sentiment de peur dans la population sicilienne, des rumeurs ont circulés comme par exemple qu'il fallait se rendre à la police si on avait un casier judiciaire. Mori dut faire preuve d'un peu plus de vigilance pour garder une image correcte et demanda à ses hommes de se retirer de plusieurs villages. En effet c'était une période assez difficile pour les habitants qui voyaient leurs proches arrêtés sur de simples suspicions et des fois les enfants et femmes étaient capturés pour que le mari se rende. Ce fut notamment le cas à Corleone et étrangement Mori est plutôt discret à ce sujet, dans ses mémoires il n'évoque pas du tout cette pratique d'otage. C'est en partie grâce à un rapport sur un raid dans un quartier de Palerme que nous en avons la certitude, il avait emmené 69 femmes, et 130 enfants à l'hôpital de Palerme afin de faire marchander les fugitifs.
Cesare Mori nous dit que les siciliens étaient favorables à ce type de méthode mais ce n'était pas vraiment la réalité. Une habitante de Milocca (province de Caltanissetta) témoignera plus tard de la situation de son village. Elle nous dit que le raid des policiers de Mori était arrivé une nuit, ils étaient assez agressifs ce qui avait fait fuir plusieurs personnes. La police avait donc prit des familles et confisqués les bétails, ils étaient souvent affamés et quémandaient du pain aux arrêtés. Il y avait eu à la fin de l'année 1928 plus d'une centaine de personnes derrière les barreaux ce qui était considérable pour une ville de 2500 habitants. Il y avait des femmes appelées "veuves de prison" et les fêtes religieuses se faisaient en comité restreint. Les arrestations en masse avaient crée un plus gros fossé entre les autorités et habitants, ils les prenaient pour des étrangers et ne comptaient aucunement collaborer.
 |
Livre sur Milocca par Charlotte Chapman |
Mais du coup comment s'est déroulé le procès de Gangi ? Une fois encore les accusés étaient en partie poursuivis pour association de malfaiteur mais avec un aussi grand nombre de personnes, le procès pris beaucoup de temps. Le siège avait été fait en Janvier 1926 mais les préparatifs ont continué jusqu'à l'automne 1927. Entre-temps 70 des accusés avaient été libérés et 4 décédèrent en prison dont Gaetano Ferrarello. Il y avait donc au final 154 personnes comprenant des prêtres et femmes. Le procès commença à Termini Imerese en Octobre 1927 dans l'ancienne église du village qui avait été aménagée avec de grandes cellules. La première séance du procès semble avoir été perturbé par le manque de jurés qui avaient pris peur de la situation.
 |
Les mafieux escortés de la prison pour le jugement. |
Lors des premiers jours, le procès fut énormément médiatisé dans la presse Italienne et Américaine. Des histoires inventés sur la vie de certains accusés ont étés diffusés comme pour
Francesca Salvo qui fut décrite comme la reine des brigands. En clair la propagande continuait de susciter son attention sur Gangi mais le procès était très complexe. En effet les accusés niaient la plupart des faits qui leur étaient reprochés, ils disaient être en conflit avec plusieurs familles présentes ce qui rejetait l'association de malfaiteurs. Avec plus de 150 présents il était difficile pour les jurés de mémoriser les témoignages et contre-interrogatoires de tout le monde, sans oublier les 300 témoins qui sont venus à la barre durant le mois de Novembre. C'était un nombre important en peu de temps et cela s'explique avec la pression de Benito Mussolini. Il avait envoyé un télégramme à Mori disant que le procès devait être rapide à l'image du fascisme et que sinon il n'allait pas finir avant l'an 2000.
Le jugement continua jusqu'à la fin de l'année, les journaux continuaient leurs articles qui reportaient presque exclusivement les dires de la justice et non la défense des accusés. Les avocats ont quant à eux minimisé leur dévouement pour ne pas être accusés d'association avec leurs clients. Les témoins qui prenaient la défense des accusés étaient décrits dans la presse comme étant forcé par la mafia. Le baron Sgadari qui était très loin d'être blanc comme neige, avait comparu devant le tribunal pour témoigner contre les accusés et semblait intouchable de par son statut. Le verdict fut rendu en Janvier 1928, parmi les 154 accusés il n'y a eu que 8 acquittés. Tous les autres ont été reconnus coupables de complots, c'était le résultat souhaité pour Mori et ce qui a placé sa campagne contre la mafia sur le devant de la scène internationale. The New-York Times avait consacré plusieurs articles sur Mussolini et la mafia.
 |
N-Y Times sur le procès, 4 Mars 1928 |
La Federazione corrompu d'Alfredo Cucco :
La campagne de Mori se passait sans grand obstacle mais pourtant quelqu'un était de plus en plus inquiet de ses agissements. Alfredo Cucco n'était pas enthousiaste à l'idée que Federzoni du gouvernement ait donné autant de liberté à Mori. Cucco sentait qu'il était tombé en disgrâce à Rome depuis la montée de Cesare Mori. Régulièrement Cucco demandait si la rumeur sur le transfert de Mori était vraie car en effet le gouvernement voulait le nommé chef de la police d'Etat après des tentatives d'assassinat sur Benito Mussolini en 1926. Mais le travail que faisait Mori était trop important et ne devait pas être interrompu, c'est pour cette raison qu'il a continué sa lutte. Il fut également constaté que Cucco recevait beaucoup de messages d'aides de la part des familles que Mori avait fait arrêter lors des raids. Cucco devait donc connaître personnellement des criminels car il usa de son influence pour ne pas que la police confisque certains biens.
Alfredo Cucco était donc une figure controversé, même s'il était membre du grand conseil fasciste, il restait un politicien sicilien qui agissait pour son propre intérêt. En vue des raids plus important et de la tolérance de Mori, Cucco avait une part de responsabilité dans son ascension du point de vue du peuple sicilien. C'est vrai que Cucco collaborait avec Mori et demanda à ses partisans de le soutenir, il était évident que Cucco voulait maintenir de bonnes relations avec Rome. C'est assez drôle car Cucco aimait se mettre en valeur lorsque des politiciens lui rendaient visite en Sicile, plus d'une fois il chassa un "vilain mafieux" devant son invité. Mais bon, sa haine envers la mafia n'était pas aussi présente que ce qu'il démontrait.
 |
Alfredo Cucco à gauche de Cesare Mori qui fume, 1926
|
Et ce n'est pas seulement Cucco, Mori n'était pas apprécié de toute la
Federazione Palermitaine regroupant les représentants politiques de Sicile. En effet ils n'avaient pas aimés que Mori participe à la destitution de
Damiano Lipani qui était un fort allié politique de Cucco. Lipani était le secrétaire général de la province de Caltanissetta et fut accusé d'association avec la mafia, il aurait permit l'organisation d'infiltré les collecteurs d'impôts et d'en toucher une partie. Ainsi les mafieux avec de grands terrains avaient gardés un taux d'imposition minime. Lorsque l'enrichissement de Lipani se faisait constater, le journal local fit de nombreuses accusations à son égard. Mori venait en plus de demander la démission du préfet de Caltanissetta qui n'avait duré que 4 mois, Lipani eu donc sur le dos le préfet
Pintor Maneli qui était un admirateur de Mori. L'arrivé de Maneli permis aux opposants de Lipani de témoigner ouvertement contre lui et un jugement s'en est suivis. Lipani fut définitivement démis de ses fonctions et Mori aurait été en faveur du verdict.
La Federazione avait perdu l'un des leurs et Mori en était responsable. Il était clair qu'il n'avait pas d'allié au sein du groupe palermitain et je dirais même qu'il était haï. Par exemple Mori a appris que le fils de deux ans d'Alfredo Cucco répétait le mot "porc" après avoir entendu "Mori". Au cours de l'année 1926 la Federazione envoya plusieurs lettres anonymes à Rome disant que Mori employait des méthodes sauvages et inhumaine sur la population. Ils inventèrent aussi qu'il se prenait pour Caesar et allait dans les villages sur un grand cheval blanc. Pourtant Mori préféra faire profil bas, il avait néanmoins appris que Cucco exploitait un réseau lié à la mafia pour investir dans son journal "Sicilia Nuova" et lorsqu'un rapport sortit sur la corruption de Cucco, Mori préféra le soutenir. En effet publiquement les deux hommes paraissaient comme de très proches amis, ils se sont même échangés des photos dédicacées.
 |
L'un des nombreux télégrammes de Mori à Alfredo Cucco |
La fin de Cucco se précipita après avoir essayer d'éliminer Mori avec des diffamations, de plus le gouvernement voulait changer certains politiciens pour retrouver un fascisme plus extrémiste. Cucco protégeait les propriétaires fonciers de l'île qui ne voulait pas avoir affaire aux fascistes de Palerme et pour des raisons économiques et politiques Cucco fut écarté de la Federazione. À vrai dire ce n'était pas le seul, pratiquement tous les membres originaux furent changés à la fin de l'année 1926. Mori et Cucco ont continués à se montrer une affection mutuelle pendant quelques mois, jusqu'au moment où Mori fut certain de la dangerosité de Cucco. Il récupéra un télégramme écrit par celui-ci à un ami de New-York dans lequel il dénonçait les pratiques de Mori de façons diffamatoires.
La descente de Cucco ne s'arrêta pas là, Mori enquêta sur ses liens avec la mafia notamment à Villabate qui était depuis le XIXème siècle pollué par la mafia. C'était l'un des principaux fiefs mafieux, la cosca fut notamment responsable de l'assassinat d'Emanuele Notarbartolo en 1893 qui était la première grande personnalité assassinée par la mafia. Mori se déplaçait donc souvent à Villabate pour aller au commissariat, il questionnait les fonctionnaires pour déterminer s'ils étaient corrompus. Les interrogatoires semblaient musclés car plusieurs sortaient en pleurs. Mori envoya aussi un message aux préfets de Corleone et Cefalù pour savoir si les faisceaux fascistes avaient été infiltrés par la mafia. Cucco apprit qu'un homme important de la police faisait de nombreuses visite à Villabate, il compris directement qu'il s'agissait de Mori et les deux hommes ont arrêtés de se parler.
Au début d'année 1927 un fonctionnaire anciennement chef de police, porta plainte contre Cucco car il aurait usé de son influence pour le destituer de ses fonctions avec l'aide du député sicilien Giovanni Lo Monte. Ce député était une figure très controversé qui était l'un des principaux membres importants de la mafia, il était l'allié des mafieux Corleonais dans une faction agricole qui n'arrivait pas à être sous le contrôle fasciste. En effet Mori était très inquiet de la situation à Corleone car la mafia avait infiltré tous les postes municipaux et même le faisceau fasciste. La mafia était de plus en plus forte grâce aux mariages, la plupart des habitants et même les personnes honnête étaient liés par unions à un mafieux. En autre le réseau fasciste n'arrivait pas à prendre le dessus sur la mafia. Lo Monte usa de la mafia pour accéder au rôle de député mais en Décembre 1926 il fut condamné pour escroquerie mais pas démis de ses fonctions… .
 |
Le député/parrain Giovanni Lo Monte |
Lo Monte fut condamné deux semaines avant la plainte envers Cucco, de plus ont appris qu'ensemble ils étaient responsables de corruption militaire. Cucco avait permis entre 1921-1923 à plusieurs individus d'esquiver le service militaire qui était une chose très grave aux yeux du gouvernement fasciste. Ce qui est d'autant plus drôle c'est qu'Alfredo Cucco avait fait un long discours à la chambre des députés en 1925 sur l'importance du service militaire et son obligation. Alfredo fut acquitté pour faute de preuves mais il était évident que sa carrière politique était finie. Mussolini le fit expulser du PNF (Partito Nazionale Fascista) en cette période de purge au sein du parti. Le nouveau secrétaire était Augusto Turati qui remettait de l'ordre parmi les politiciens profitant du fascisme et le Sud de l'Italie était particulièrement dans le viseur. Turati fit le choix de privilégier des politiciens venant du Nord pour représenter la Sicile, ce qui avait déplu la population lors de sa visite sur l'île.
À Caltanissetta la destitution de Lipani avait ouvert la voie aux changements politiques mais ce n'était pas le cas partout. Turati annonça qu'il ouvrirait des enquêtes à Palerme, Trapani et Syracuse pour condamner les personnalités corrompues. La tâche fut confiée à Ernesto Galeazzi, c'était une figure avec les mêmes valeurs que Cesare Mori, Ernesto avait reçu une éducation militaire similaire et fut un précieux allié pour notre préfet.
 |
Augusto Turati le secrétaire du parti PNF et Ernesto Galeazzi |
C'est notamment Galeazzi qui supervisa le procès contre Cucco, il avait même mis sa maison sous surveillance policière pour le "protéger", officiellement. Le procès de Cucco fut retardé à cause du manque de témoin, en effet les fonctionnaires de police préféraient se ranger du côté de Cucco et ne rien dévoiler. Mori se serait énervé au procès en menaçant ceux qui ne voulaient pas collaborer, plusieurs policiers finiront mutés pour ne pas s'être présentés au procès. D'une certaine manière le jugement montra les liens entre Cucco et ses partisans avec la mafia. Parmi les témoins appelés à la barre on retrouva le député Giovanni Lo Monte, et le baron
Giulio Pucci qui semblait avoir une influence typique mafieuse. Cucco a donc été acquitté pour manque de preuves mais deux jours après des rapports de corruption sur ses alliés politiques sont sortis. On retrouvait notamment des falsifications de documents, de la fraude commise en association avec des criminels, de la violence privée etc... .
Si cela n'est pas la preuve que politique et mafia ne font qu'un.
Une nouvelle Federazione et un Triumvirat :
Cesare Mori se portait à merveille, de plus Galeazzi fit un décret demandant la suppression des journaux "Sicilia Nuova" et "La Flamma" qui appartenaient à Cucco. Mori prenait un plaisir personnel à anéantir Cucco qui était suivis dans la plupart de ses déplacements. Galeazzi mit en place un Triumvirat (groupe de trois puissants représentants qui fut d'ailleurs repris par la mafia sicilienne) composé du Dr. Grossier, du Duc Ugo Di Belsito et du marquis de Spedalotto. Ils étaient des adhérents au fascisme depuis les débuts de Mussolini et avaient une influence plutôt minime, Mori ne voulait plus avoir affaire à un deuxième Cucco. Ils ont ensemble réfléchis à la fondation d'une nouvelle Federazione sans corruption. Ugo Di Belsito prit la place de Cucco et fut le représentant de la Sicile au sein du Parti Nationale Fasciste. Il était également le vice maire de Palerme et plus tard député.
 |
Le membre du Triumvirat et de la Federazione Ugo Di Belsito |
Cesare Mori fut félicité par Mussolini pour la création d'une nouvelle Federazione et reçu l'invitation de le rencontrer à Rome en Avril 1927. Mussolini était très fier du combat contre la mafia et le réitéra dans un long discours en éloge à Mori qui fut notamment applaudi par les députés siciliens Lo Monte et
Francesco Musotto, qui lui entretenait des liens étroits avec la mafia à Cefalù (son petit-fils fut député du pays et européen, il sera dénoncé par 10 repentis pour avoir rencontré des chefs de la mafia dans le but de les aider financièrement). Ainsi soutenus par Mussolini, le Triumvirat et Mori purent reconstruire le fascisme de la Sicile, plusieurs faisceaux fascistes de différentes villes furent dissous notamment à Lercara Freddi (village de Lucky Luciano), Piana Dei Greci, Cefalù, San Mauro etc... . Durant l'année 1927 plus de soixante faisceaux furent reconstitués, soit les trois-quarts.
Situation à Ventimiglia :
Les travaux furent intenses mais plusieurs problèmes firent surface, la mafia avait infiltré plusieurs municipalités. À vrai dire les archives sur les politiciens de l'île avaient disparu sur toute la période 1921-1926, il était donc difficile de savoir leurs convictions et leurs niveaux de corruption. La mafia renaîtra de ses cendres notamment dans la ville de Ventimiglia, c'est ce qui fut constaté par Mariano Fazio dans une lettre au Duce. Mori avait dissous la municipalité infiltrée par la mafia qui était dirigée par un certain Cali, mais quelques mois plus tard il fut nommé magistrat de la ville. L'ancien secrétaire général de la ville, Mr. Brancato, sortit de prison et deviendra le leader politique, son frère était un fugitif activement recherché.
Situation à Bagheria :
Cette ville était aussi très inquiétante d'après les rapports, elle était contrôlée par le politicien conservateur Giuseppe Scialabba qui fut accusé d'associations mafieuses. Scialabba avait été évincé par Mori et plusieurs de ses partisans condamnés comme mafieux. En effet il avait fait un blocus de la ville avec des mafieux pour empêcher les fascistes de rentrer dans la ville, il y avait notamment la famille Galioto dont le patriarche Salvatore était un fugitif. Son cousin Gino avait été maire et d'autres Galioto prirent des places très importantes dans le gouvernement italien comme le député Michelangelo. Puis Biaggio et Salvatore Galioto étaient des membres de la mafia de Buffalo aux Etats-Unis, leur père Pietro venait de Bagheria. Le remplaçant de Scialabba fut Giuseppe Cirincone, c'était un homme qui paraissait respectable mais qui fut entourer de politiciens douteux tout comme son prédécesseur. Cirincone avait participé au blocus anti-fasciste ce qui donne une idée de ses convictions, comme le constata Mori il n'y avait pas de réel fasciste (influent) en Sicile.
 |
Giuseppe Scialabba |
Situation à Trapani :
En Février 1927 le préfet de Trapani informa que les relations entre les dirigeants provinciaux et le parti fasciste s'étaient considérablement dégradé. Des débordements avaient eu lieu dans différentes villes à cause de la trop grande infiltration de la mafia dans les faisceaux fascistes. Mori était dans une colère evidente car il dut demander avec la Federazione la dissolution des faisceaux représentant plus de 250 personnes. Cesare avait l'impression que son travail dans la province avait été détruit par les nouveaux dirigeants provinciaux. Benito Mussolini recevait de plus en plus de télégrammes indiquant la situation délicate de la nouvelle Federazione. La mafia semblait prendre petit à petit le dessus et le fascisme n'était toujours pas apprécié. Alfredo Cucco dira plus tard dans son livre que la nouvelle Federazione avait intronisé tous les politiciens douteux que la précédente n'avait pas acceptée "ceux mis à l'extérieur se retrouvèrent à l'intérieur".
Le conflit entre le fascisme et l'Eglise :
La relation entre l'Eglise catholique et le fascisme a toujours été complexe car le régime était ouvertement contre les religions. Les chemises noires parfois mélangé à des anarchistes prenaient l'assaut de divers biens appartenant à l'Eglise durant la période 1921-1923. Ils furent aussi responsables de meurtres notamment du prêtre Giovanni Minzoni (dont l'assassinat fut couvert par les journaux mais un procès eu lieu à la fin du fascisme). Les médias catholiques ont décrits les fascistes comme des hommes a l'esprit de violence utilisant l'intimidation, le meurtre et la barbarie.
En clair la situation était délicate mais Mussolini savait qu'il fallait introduire les catholiques car le parti fasciste était encore faible. Il décida donc d'être plus flexible et autorisa de nouveau les croix dans les hôpitaux et autres lieux publics. Il promit aussi de réparer les églises qui ont été abîmés durant la guerre ce qui renoua peu à peu les liens entre l'Eglise et l'Etat.
Mais Mussolini était clair, le fascisme doit tout contrôler en Italie c'est pourquoi les liens avec l'Eglise étaient loin d'être excellents. Ce fut qu'en 1929 avec les accords du Latran que les deux parties se mirent d'accord, c'est ce qui a crée l'Etat du Vatican. L'Eglise avait donc son territoire avec son Saint-Siège, l'Etat devait aussi donner un revenu de 50 millions de lires par an.
 |
Les accords du Latran avec l'Eglise et Mussolini |
Durant sa campagne contre la mafia, Cesare Mori avait de bonnes relations avec l'Eglise. Il savait que certains prêtres étaient très influents et pouvait l'aider dans sa lutte contre la mafia. Souvent il se rendait dans les villages un dimanche pour faire un discours en introduisant des mots religieux. L'un des alliés de Mori était l'archevêque Lualdi qui lui avait fait part de ses sincères remerciements pour son combat. Il est difficile de savoir si Mori était un véritable homme de foi, il semble plutôt apprécier les codes de l'Eglise sans pour autant être croyant.
Même si le préfet avait le soutien de quelques prêtres, c'était moins clair pour beaucoup d'entre eux. Les prêtres représentaient les villages et la population, leurs affections pour Mori dépendaient de la vision du fascisme des habitants et du degré de puissance de la mafia. Rappelez-vous durant le procès des Madonies, deux prêtres avaient été jugés pour association mafieuse. Dans le village de Mistretta le prêtre Don Versacci était également maire et leader de la mafia. Il finira démis de ses fonctions et jugé en 1928, un autre prêtre plus respectable prit sa place. C'était courant dans la mafia que des hommes d'églises soient liée, on a l'exemple du puissant parrain Calogero Vizzini dont 3 de ses frères étaient prêtres.
 |
les prêtres Salvatore et Giuseppe Vizzini |
Un frère de ministre chef de la mafia :
En Mars 1928 le Duce Mussolini rencontra le brillant général Antonino Di Giorgio lors des funérailles du maréchal Diaz. Le Duce voulait savoir les raisons du conflit entre lui et Cesare Mori, Di Giorgio lui répondit que le préfet avait perdu la tête et arrêtait beaucoup trop d'innocents. Di Giorgio était un sicilien et anciennement le ministre de la guerre, il avait combattu en Somalie et en Lybie et reçu plusieurs médailles. Durant la Première Guerre mondiale il avait dirigé la défense Italienne pendant les batailles de l'Isonzo (le père du parrain Joe Bonanno combattit sur ce front avant de se faire blesser et de mourir peu de temps après). Di Giorgio démissionna de son poste de ministre un an après sa nomination suite au rejet de sa réforme sur l'armée. Il fut nommé chef de l'armée à Florence puis de Palerme en 1926.
 |
Général et ministre Antonino Di Giorgio
|
Benito Mussolini et Antonino Di Giorgio se sont donc rencontrés pendant les funérailles à Rome, ils discutèrent du cas Mori et de ses raids. Le Duce fut lui-même choqué lorsqu'il apprit que le préfet avait arrêté dernièrement plus de 11 000 personnes rendant parfois des villages quasiment abandonnés. Il faut admettre que les techniques de Mori étaient très strictes mais que faire face à l'omniprésence de la mafia ? Les autres politiciens n'avaient pas forcément le recul nécessaire pour se rendre compte du monopole de la mafia dans toutes les couches de la société (Députés, nobles, maires, prêtres, avocats, paysans etc... .). Mussolini demanda que Di Giorgio lui écrivent de façon très détaillée les reproches portés à Mori, ce qu'il fit dès son retour en Sicile.
Les principales accusations étaient qu'il n'y avait pas de distinction concernant les arrestations massives, entre mafieux, partisans et victimes. Cela compliquait les jugements et le travail des magistrats, et certains innocents pouvaient se retrouver en prison. Il fallait donc des centaines de témoins pour réussir à innocenter des accusés. Di Giorgio souligne une rébellion secrète contre Mori de la part des siciliens ; "ils applaudissent la lutte contre la mafia et crient vivent Mori, mais dans l'intimité de la famille ils attisent la haine contre le régime. Mori c'est laisser envirer par le parfum de la victoire."
Il est évident que Di Giorgio avait raison mais rappelez-vous de la complexité de la situation en Sicile. Il avait touché le point sensible de Mussolini, à savoir l'opinion public sicilien envers le régime. De plus faire des procédures judicaire très coûteuses (entretien des prisons, déplacement des familles, avocats, rénovations) pour des faits "d'associations de malfaiteurs" qui finissaient souvent sur un non-lieu, ne valaient pas du tout le coup. Mussolini le constata surtout avec l'acquittement d'Alfredo Cucco, il convoqua rapidement des généraux de Mori, le maire de Palerme et des politiciens siciliens à Rome pour discuter de la situation. Ils ont tous soutenu Mori en particulier le Duc Di Belsito qui n'aimait pas Di Giorgio. Mais le Duce n'était pas encore convaincu et organisa une rencontre avec Mori qui fut très mouvementée.
 |
Cesare Mori et ses carabiniers |
Le préfet savait l'hostilité du général Di Giorgio depuis un moment et ne voulait pas connaître un affrontement à la Cucco. En effet l'armée était dirigée par le général et certains soldats étaient hostiles envers Mori et sa campagne. Di Giorgio appartenait en plus à la haute aristocratie Palermitaine voilà pourquoi il attaqua le préfet, Mori savait qu'il fallait contre-attaquer. Il voulait montrer comme pour Cucco que Di Giorgio était lié à la mafia notamment via son frère. Mori demanda au commissaire Span
ò de Gangi de ressortir le
procès Orotoleva dont le nom d'Antonino et Domenico Di Giorgio ressortait puis l'envoya à Mussolini.
Antonino Ortoleva était avocat et parrain mafieux de Mistretta, il naquit dans une famille noble et avait notamment un frère notaire qui épousa la fille de Don Vincenzo Milletari. Les Ortoleva faisaient du trafic d'animaux exotiques et avaient une armée de paysans appelés "gang des barbu" pour assurer leur pouvoir à travers la violence et le pillage. Antonino Ortoleva avait acquit plusieurs propriété dans la province et s'allia avec des figures typiques mafieuses dans un réseaux de bétails et chevaux. Ortoleva utilisait son cabinet pour gérer les problèmes juridiques et le personnel "déclarés" des propriétés. Ortoleva était un professionnel pour voler le bétail de rivaux, qui savaient vers qui se tourner ensuite.
Antonino avait une vraie mentalité mafieuse, il a donné une apparence légale à ses pouvoirs criminels de parrain. Mais sa couverture prit fin en Avril 1926... .
Les hommes de Mori ont perquisitionné sa maison et trouvèrent tout un tas de documents très suspects révélant ses liens avec des mafieux et fugitifs. Il avait structuré sur son territoire un réseau de relation mafieuse en un mini-Etat appelé "l'interprovincial", avec les nobles au-dessus et ses gardes qui servaient de policiers. Ortoleva fut maire de Mistretta à partir de 1910, la ville a très largement soutenu Antonino Di Giorgio lors de ses élections de députés en 1913 et fut même l'endroit avec le plus de votes favorables. Les policiers ont retrouvé des documents sur son frère Domenico Di Giorgio soupçonné d'être le chef de la mafia à Castel Di Lucio, il avait notamment marié la sœur du mafieux
Giuseppe Stimolo originaire de la même ville.
 |
Domenico Di Giorgio et Giuseppe Stimolo |
Les doutes sur Domenico se sont confirmés une nouvelle fois lorsque son nom apparaissait sur une liste trouvée lors d'une perquisition, avec la plupart des parrains de l'île. On retrouvait
Antonino Farinella qui était maire de San Mauro et également
Antonio Milletari de Gangi qui était apparenté à Ortoleva. Cesare Mori envoya les rapports de police à Rome pour que le Duce en prenne connaissance, il fit
aussi un long discours discriminant les Di Giorgio à Palerme. Le soir même Antonino Di Giorgio envoya un télégrammes à Mussolini disant que la liste correspondait à établir l'acte de décès d'un proche. Mussolini était un peu troublé par les argument mais choisira de soutenir Mori, la fierté de Di Giorgio avait pris un sacré coup et il alla confronter le préfet. Apparemment la dispute aurait fini à coup-de-poing et les jours suivants le général quitta la scène de la politique. L'argument sur l'acte de décès était évidemment faux, par exemple la famille Farinella dirigea la mafia de San Mauro jusqu'au début des années 2000.
L'arrestation du puissant Don Vito Cascio Ferro :
L'une des dernières grandes actions du préfet fut le procès en 1928 des mafieux de Bisacquino, comprenant le célèbre parrain Vito Cascio Ferro. Il naquit le 22 Janvier 1862 à Palerme, son père Accursio était une figure mafieuse de la province d'Agrigente qui était devenu salarié dans le palais "Santa Maria Del Bosco". Vito a donc grandi dans le pauvre quartier de Ballaro où vice et tricherie régnaient, Vito observait le contraste avec les nobles anglais qui avait employé son père. Il faut dire qu'il avait des convictions anarchistes comparé aux autres parrains de la "société honorée" (il aurait rendu visite à la femme de Gaetano Bresci qui était l'assassin du roi Umberto I). À ses trente ans Cascio Ferro dirigeait le faisceau ouvrier de Bisacquino, il était très souvent vu dans de somptueux habits et était en étroite relation avec les brigands Maurina qui terrorisaient la province de Palerme. Mais Cascio Ferro ne semblait pas avoir de revenu apparent, c'est grâce à son métier de courtier pour des nobles Anglais et le travail de sa femme qui était institutrice qu'il arrivait à bien s'habiller. Cette pauvre Brigida Giaccone finira par porter plainte à la police car Vito la battait pour récupérer de l'argent.
 |
Vito "Vitazzu" Cascio Ferro |
À la tête du faisceau comprenant 40 membres, il força un fief à Contessa Entinella en Novembre 1893. Ferro aimait défier les autorités et terroriser les nobles ce qui lui valut une peine pour "incitation au crime" et "insurrection à une guerre civile". Pendant les années 1893 et 1894 il fut arrêté une dizaine de fois pour extorsion et acte mafieux mais Verro décida de quitter l'île en Juin 1894 pour se réfugier en Tunisie. La ville de Tunis abritait une grande colonie de siciliens, avec son port et ses terres agricoles il y avait un grand nombre de paysans mais aussi de scélérats. Je pense notamment à Giuseppe Fontana de Villabate qui allait souvent à Tunis pour faire toute sorte de trafic et s'y réfugier comme après l'assassinat d'Emanuele Notarbartolo. Verro décida de faire ce qu'il faisait de mieux, organiser un réseau criminel entre Sciacca et Tunis. En effet de nombreux bateaux passaient entre les deux villes, la famille Cascio Ferro était originaire de Sambuca Zamut situé dans la même province. La pêche est un métier basé en partie sur la chance (d'avantage à cette époque), c'est pourquoi Cascio Ferro arrivait facilement à les convaincre de transporter autre chose que des poissons contre quelques billets.
Cascio Ferro avait créé un véritable réseau de bateaux qui la nuit débarquaient en Sicile dans les côtes éloignées d'Agrigente et Trapani car c'était là bas que les animaux étaient volés. Pas mal pour un homme qui se proclamait anarchiste, il avait des pêcheurs, gardes côtes, fonctionnaires et mafieux comme associé dans ce réseau. En Septembre 1894 il retourna en Sicile sans craindre les autorités car il fit le serment de ne plus retourner dans la politique et en 1900 il est écarté définitivement de tout mouvement. Mais son influence dans la mafia n'avait pas cessé de grandir, il pouvait acquérir des postes plus importants encore. Les préfets n'osaient pas s'attaquer à lui, à vrai dire à cette époque le gouvernement ne voyait aucun mal envers un mafieux qui ne causait pas d'ennuis à la justice et à l'autorité du roi. Cacio Ferro était devenu un maître dans ce domaine.
Bref Cascio Ferro avait créé son réseau, un Etat dans l'Etat, il avait une influence sur Tunis, une grande partie de la Sicile mais aussi aux Etats-Unis. En effet il migra entre 1900 et 1901 comme de nombreuses proéminentes figures du crime, je pense notamment à Giuseppe Morello de Corleone que Cascio Ferro connaissait déjà. Je ne vais épiloguer toutes ses actions en Amérique car sinon l'article risque d'être encore plus long. Un élément important est qu'il fut surveillé par le détective Petrosino qui sera fou de rage en apprenant la fuite de Vito Cascio Ferro des États-Unis. Petrosino décida en 1909 d'aller en Sicile enquêter mais il y sera tué présumément sur ordre de Cascio Ferro. Le préfet de Palerme Baldassare Ceola fut bizarrement muté peu de temps après alors qu'il enquêtait sur l'assassinat.
 |
Le tueur Paolo "Paliddu" Palazzotto et Joseph Petrosino |
De nouveau en Sicile en 1904, il continua d'exercer son influence sur l'île. La période après l'assassinat de Petrosino fut la meilleure pour lui, il était le grand chef respecté de la mafia. Cascio Ferro semblait s'être mélangé à la haute bourgeoisie notamment avec les barons anglais qui ont employé son père, le député Lo Monte, Andrea Finocchiaro Aprile (qui était leader dans les scrutins de Corleone, Prizzi et Bisacquino) etc... . Des rumeurs auraient même circulé s'il n'était pas franc-maçon vu les privilèges qu'il avait. Mais l'influence de Vito diminua progressivement avec l'arrivée de la Première Guerre mondiale, le gouvernement n'aimait plus les systèmes de clientélisme longtemps pratiqués. Âgé de plus de cinquante ans, notre parrain se fit de plus en plus discret notamment avec la venue du fascisme.
 |
Vito Cascio Ferro et son fils "Vituzzu" |
On apprit que Cascio Ferro avait rejoint le Parti Populaire de Bisacquino en 1921, il s'était relancé dans la politique. Mais la discrétion de Ferro fut vite dissoute car Cesare Mori avait demandé des rapports détaillés du phénomène mafieux en Sicile et le nom de Ferro ressortis rapidement par les carabiniers. Il y avait écrit "une sorte de vénéré grand maître, appartenant au cercle des bourgeois". Mori fut directement alerté par la dangerosité de cet individu qui avait une liste d'associés à travers 3 continents. Mori ressorti le nom des homicides de différents villages sous l'influence de Ferro (Corleone, Bisacquino, Prizzi, Burgio, Chiusa Scalafani et Contessa Entellina). Ferro fut arrêté en 1923 comme suspect dans le meurtre de
Gioacchino Lo Voi mais vite relâché.
Lors de son arrivée en Sicile durant l'année 1925, Mori décida d'enquêter sur cet assassinat et arrêta plusieurs suspects à Bisacquino. En 1928 Cascio Ferro était retourné dans le village de ses parents qui était Sambuca Zamut, probablement afin de s'écarter de la mafia et de la justice. Mais cette même année il fut arrêté par les hommes de Mori et enfermé dans la prison de Sciacca. Il envoya une lettre au riche Adriano Mirabella pour qu'il use de son influence mais celui-ci lui répond :"les temps ont changé malheureusement".
Cascio Ferro fut en attente de jugement pendant deux ans, lui et son gang ont patientés jusqu'en été 1930. C'est à ce moment-là que le grand procès du "gang de Bisacquino" commença, le fascisme voulait une nouvelle fois montrer qu'elle s'attaquait au plein cœur de la mafia avec le jugement du grand Cascio Ferro. Du haut de ses 68 ans, Ferro resta mué pendant un long moment, il n'avait pas l'air de vouloir se défendre. Il avait compris que le fascisme voulait voir des têtes tomber et qu'il était l'homme idéal à leurs yeux. Les jurés avaient été choisis minutieusement et avaient tous des attirances pour le fascisme, la sentence du tribunal tomba le 27 Juin. Vito Cascio Ferro ainsi que 8 autres accusés furent condamnés à la perpétuité, 4 à trente ans et d'autres pour des peines plus réduites.
 |
mugshot de Cascio Ferro prise à Palerme |
Vito finira ses jours isolés en prison car son fils et sa femme ne voulait plus le voir. D'après ses codétenus qui l'ont vu le peu de fois où il sortait de sa cellule, ils l'ont décrit comme un homme étrange qui ressemblait à un vieux fou à l'air satanique. Il fut transféré de prison en prison jusqu'à finir en 1942 à Pozzuoli (Ouest de Naples). Il n'y a pas de document sur son état de santé ou de certificat de décès mais il est possible qu'il mourut peu de temps après. La légende dit qu'il fut oublié lors de l'évacuation de la prison après des bombardements alliés survenu l'année suivante.
L'ultime année du préfet Mori :
Depuis la fin de 1927, Cesare Mori savait que son travail touchait à sa fin. En effet il n'y avait quasiment plus de policiers du Service International qu'envoyait le gouvernement en soutien, de plus les chevaux mis à disposition avait été restreint. Mori envoya un télégramme à Mussolini en exprimant ses plaintes, mais le Duce fit la sourde oreille. En février 1928, Mori vu qu'Arnoldo Mussolini avait écrit un article dans son journal disant "LA SICILE LIBRE DE LA MAFIA", pourtant c'était loin d'être le cas. Le gouvernement voulait privilégier le tourisme et comptait réduire le budget de la police en Sicile d'un million de lires. Durant les derniers mois de son service, Mori décida de s'occuper des problèmes de l'agriculture. Il se rapprocha du peuple notamment après son conflit avec Antonino Di Giorgio, Mori défends donc les convictions des paysans et délaissa même la voiture pour le cheval. Il voulait avoir cette vision du préfet paysan.
 |
Le préfet Mori dans un tracteur agricole |
Mais Mori n'avait pas perdu la tête et savait que la mafia était toujours présente, c'est pourquoi plus que jamais il surveillait Alfredo Cucco et ses alliés. Par je ne sais quel moyen il savait tous ses déplacements, qui il rencontrait et même les discussions qu'il avait chez lui. Mori remarqua la visite du
capitaine Francina qui était un ami d'enfance d'Antonino Di Giorgio, il n'en fallut pas plus pour que le préfet décide de le transférer dans l'une des villes les plus au Nord de l'Italie (à Vérone). Son réseau d'espionnage était vraiment efficace, il apprit que Cucco et ses amis furent choqués de la chute de Di Giorgio. En revanche il y avait un mécontentement dans l'armée et le Roi le connaissait très bien. À la fin de l'année 1928, Mori fut nommé au sénat ce qui reflétait la satisfaction du gouvernement à son égard, enfin pas exactement... .
Mori n'était pas du tout enthousiaste car c'était une ruse pour qu'il soit écarté du poste de préfet, de plus Cucco et ses amis commencèrent à réintégrer la Federazione suite aux changements politiques. Le Duc de Belsito fut remplacé par Roberto Parernostro, réputé pour ne pas être en accord avec la campagne de Mori. Le 23 Juin les doutes du préfet se confirment, Mussolini lui dit dans un télégramme que ses services n'étaient plus requis et qu'il était dorénavant en retraite. Mori avait 57 ans et il y avait une nouvelle loi indiquant que les préfets étaient à la retraite après un service de 35 ans.
Cesare Mori vécu quelque temps dans la capitale en continuant ses discours sur l'urgence d'une reconquête de la Sicile contre la mafia, pour éviter qu'elle relève la tête. Mais ses dires n'étaient pas appréciés au capitole et rien ne fut prit en compte. En 1931 il quitta le pays pour s'installer en Istrie et écrivit son livre "Con la Mafia ai Ferri Corti", qui reçut une mauvaise accueille. Les journaux qualifièrent ce livre comme n'ayant pas d'arguments concrets, c'est pourquoi Mori ne le fit pas éditer en plusieurs langues. Ses dernières années passèrent dans une relative obscurité et il mourut en 1942 de manière presque inaperçue.
 |
Cesare Mori lorsqu'il était sénateur |
Ne jamais dire que Mussolini a combattu la mafia :
Je dois quand même finir cet article en évoquant la situation de la Sicile après Mori et l'avenir de son ennemi Alfredo Cucco. Et bien de son côté les choses se passait plutôt bien, en 1931 il fut complètement acquitté des accusations à son égard. Pendant de nombreuses années il demanda à Mussolini de le réintégrer dans son gouvernement, ce qu'il refusa jusqu'en 1936. En effet en Juillet le Duce consolida ses liens avec l'Allemagne nazi, c'était un retour du fascisme radical en Italie. Cucco profita des changements politiques pour retourner dans le parti fasciste et en 1943 il devient sous-secrétaire. Il finira sa vie à Rome comme député socialiste, une place à Palerme portera son nom notamment grâce à ses contributions scientifiques.
 |
Alfredo Cucco à droite de l'homme debout |
Parlons dorénavant de la Sicile et des choix catastrophiques de Benito Mussolini et son gouvernement. Le retrait de Mori a caractérisé l'abandon et le déclin économique de l'île. Le gouvernement avait définitivement tourné le dos aux habitants, ils avaient eu la propagande qu'il voulait grâce à Mori. Le préfet qui lui succéda fut Umberto Albini, décrit comme un vrai amateur sur les problèmes de la Sicile. L'une de ses premières actions fut de déplacer la préfecture de Palerme près de la plage de Mondello, pour mieux profiter de la vue. Bref la Sicile était en déclin, les poubelles s'entassaient et les rues étaient bondées de sans-abris. Le gouvernement qui avait réduit ses dépenses de l'île, causa un accès au soin très difficile.
Selon l'ambassadeur anglais qui visita la Sicile en 1935, "il n'était pas recommandé de voyager la nuit avec l'explosion du crime". Le gouvernement demanda aux journaux de ne pas utiliser le mot mafia, qui avait d'ailleurs disparu de l'encyclopédie en 1934. Pour l'Italie du Nord et du reste du monde, la mafia avait été éradiquée par Mussolini mais c'était loin d'être le cas. Des lettres anonymes parlaient d'une corruption généralisée, notamment parmi les membres siciliens du parti. C'est vrai que je n'ose pas imaginer le sourire des députés siciliens lorsqu'on dit dans les assemblés que la mafia fut éradiqué… .
Comment voulez-vous que la mafia disparaisse après un abandon significatif du gouvernement de Mussolini. Ce n'est pas la pauvreté qui rend mafieux car on a vu des parrains députés, avocats, nobles, prêtres ou même médecins. C'est la grande différence entre le crime organisée en général et la mafia, car c'est l'abandon d'un Etat respectant les habitants qui créa la mafia. La Sicile fut Italienne, Musulmane, Normands, Espagnols et Français, les gens ont naturellement créé leur propre Etat criminel en s'associant avec les gouvernements. Comme le souligna le juge
Giovanni Falcone : "la mafia est un phénomène naturel".
-------------
Article écrit par Thibaut Maïquès aka Harry Horowitz sur certains réseaux sociaux.
Sources utilisées pour cet article :
Livres :
- La Mafia Durante Il Fascismo, Christopher Druggan
- I Padrini, Giuseppe Carlo Marino
- Tra la zagare Oltre la Faschia, Cesare Mori
- Con la mafia ai ferri corti, Cesare Mori
- Milocca a sicilian village, Charlotte Chapman
- Alfredo Cucco Storia di un federale, Matteo Di Figlia
- Faccia a Faccia con la mafia, Francesco Spano
- La mafia e i mafiosi, Antonino Cutrera (carte de la Sicile, 1900)
Commentaires
Enregistrer un commentaire